13 ans

Témoignage Publié le 25.01.2021
Jeune femme assise, près d'un rocher

Il paraît que la forêt brûle. Que l'Amazonie est en feu. La planète crève et lui, il est vivant.

Et il peut vivre vieux. Comme ces vieux obersturmführers qui clamsaient tranquillement dans leur sommeil avec leurs vieilles mains tordues, ces mains qui avaient étranglé des bébés et tiré sur des femmes, et leurs vieilles bouches édentées, ces bouches qui avaient donné les ordres autrefois : Raus, Schnell, à droite, à gauche et maintenant, y'a plus que des petits râles de petit papis qui vont mourir au chaud à l'hôpital dans leurs lits, avec leurs draps bien propres et leurs petites couches pleines de merde au fond de leurs petits pyjamas sans faux plis.

Je m'en fous de la planète. Tant que je n’arrive pas à parler, je me fous de tout. Parlera, parlera pas ? C'est fou quand tu y penses ce pari qu'ils font. Qu'on va la fermer. Si j'avais parlé, est-ce que ma vie serait différente ? J'essaie de ne pas trop souvent me poser la question. Lolita ne parle pas, elle ne comprend même pas ce qui se passe, elle ne pense à rien, la tête vide, vide d'absolument toute pensée, elle regarde le plafond, elle n'est pas sûre d'être là, qu'est ce qui se passe, ma tête en haut, mon corps en bas, coupée en deux, il me fait mal, c'est long, c’est si long il est lourd, il est trop lourd il va m'étouffer, elle va étouffer sous son poids et ça dure, ça fait mal ça n'a pas de fin et pourtant si, il a fini, il s'écroule, 90 kilos de bidoche affalée sur elle, 90 kilos elle en pèse à peine 45, il dort ou quoi putain elle ne peut plus respirer elle étouffe pour de bon et pourtant elle ne dit absolument rien, elle se tait, elle respire à tout petits coups, elle attend qu'il bouge, putain d'hippopotame, elle se tait, elle ne dit rien, je te jure qu'en vrai, elle n'ose pas.

Ça se passe et puis ça s'arrête, il lui dit va t'essuyer, mais les prochaines fois ( il y aura tellement de prochaines fois) il ne dira même pas ça, il ne dira rien, il partira vers la salle de bain sans un mot, le pantalon à demi baissé (c'est un jean un 501) il ira pisser faire son petit brin de toilette, il est soigneux il fait ça avec soin il prend bien son temps pour s'occuper de lui et elle, elle se dépêche de s'essuyer (parfois il lui a fait mettre une serviette de bain sous les fesses, mais le plus souvent elle s'essuie avec ses vêtements à elle, qu'il faudra cacher puis laver sans que sa mère ne s'en rende compte, ça va, elle sait faire tourner une machine, tu as vu j'ai fait la lessive merci chérie, c’est gentil) parce que lui après il revient tout propre, il sent bon même alors qu'elle, elle a les joues toutes rouges et brûlantes (souvent ça dure des heures après ça) et elle est toute décoiffée, et elle se nettoie vite parce qu'elle ne veut pas qu'il la voit comme ça, avec son sperme sur le ventre, sale, gluante, ridicule, toute petite. Une rien du tout.

Et quand il part (très vite en général), il n'a l'air de rien. Il a l'air de quelqu'un qui vient de parler à son banquier. En elle, le vide se fait. Pas de pensées. Oublier, vite. Ou alors se dire seulement que ça n'a aucune importance. D'ailleurs, cela n'est pas arrivé. Il suffit de le décider. Elle ne veut plus y penser. Dès qu'il passe le pas de la porte, elle l'oublie. (Elle s'efforce de l'oublier). Si on lui demandait :  " Mais pourquoi ? ", elle ne saurait pas quoi dire. Elle ne saurait pas dire pourquoi elle le laisse lui faire ça. Mais elle a honte (Honte de ce qu'il lui a fait). (De toute façon, c’est de sa faute, elle n'a rien dit la première fois, il aurait fallu parler tout de suite, crier, alerter quelqu'un, mais crier aurait été si ridicule. Car dès qu'il a parlé, dès qu'il a prononcé ces mots étranges, inattendus, embarrassants, laisse-moi faire, laisse-toi faire, je ne te ferai pas mal tu ne vas pas avoir mal, dès qu'elle a entendu sans parler, sans crier, sans rien dire, il était déjà trop tard.)
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