C'est toujours difficile d'en parler, même après toutes ces années. Je le fais parce qu'il faut dire haut et fort ce qui se passe derrière les portes closes de gens soit disant biens comme il faut.
Non, ça ne peut pas être, non ça ne peut pas être lui, ce sont des mensonges, non ça n'existe pas….. Et pourtant. Mon histoire est malheureusement banale comme je l'ai découvert depuis… j'ai été, comme tant d'autres enfants, victime d'abus sexuel de la part de mon père. Peut être mon histoire diffère t-elle de la moyenne dans le sens où j'ai retrouvé la mémoire 43 ans après les faits...….. Lors d'une séance avec une coach en image, nouvelle tentative de ma part pour essayer de m'accepter..... je passe un test de personnalité, elle me montre des photos..... et là, tout explose en moi, je tremble et ne comprends pas cette image qui me vient...… j'ai des sensations physiques, émotionnelles de la puissance d'un tsunami. Je vois, je ressens la main de mon père sur ma bouche pour m'empêcher de hurler et j'entends ces mots qui m'interdisent de dire quoique ce soit, un secret entre nous, de ne rien dire à maman…… sa voix est doucereuse, menaçante, sa main appuie trop fort sur ma bouche, j'ai du mal à respirer. Je ne comprends pas ce que fait papa, ni pourquoi il me réveille. J'ai 5 ans 1/2. Je n'ai pas d'autre choix que d'obéir à l'injonction, aux menaces….c'est papa qui me le demande alors je le crois. Et puis j'ai très très peur. Le cauchemar va durer 4 ans….. plusieurs fois par semaine, dans ma chambre le soir quand tout le monde dort.
Ce 1er souvenir sera le début d'une longue série d'agonies où des images vont me revenir sans arrêt, des flashbacks insupportables. Je fais même, chez moi, sans le vouloir, ce que l'on appelle en hypnose des régressions. Je revis les scènes de viol, je vois le visage de cet homme que je ne reconnais plus. Je vois son sourire sadique, mais je ne comprends pas ce qui se passe. ...… je ne comprends pas. Je suis terrifiée, j'ai mal, je pleure et j'ai la main sur la bouche…. Petit à petit dans le brouillard de ma souffrance, je vais essayer d'admettre que ce père adoré n'était qu'un tortionnaire, un pédophile, qu'en fait il ne m'aimait pas……que je n'étais qu'un objet sexuel. Tout comme cette mère qui ne viendra jamais me sauver, et que pourtant, j'attends chaque soir dans une terreur sans fin. Personne ne remarquera jamais rien, ni les professeurs, ni les médecins. PERSONNE. Je suis livrée à moi-même et je n'ai aucun moyen de me défendre. Alors c'est la dissociation traumatique, mon cerveau implose et je vais devenir amnésique, m'anesthésier pour ne plus sentir. Je me vois quitter mon corps, je sais que j'ai failli mourir.
Mon amnésie totale aura duré 43 ans. On est bien loin des 20 ans après la majorité. Malgré l'insoutenable horreur que je revis, cela donne du sens à une multitude de maux qui me bouffent la vie depuis toujours, je comprends enfin…… Je comprends que je ne suis pas folle ! Je prends petit à petit conscience de l'origine de cette fatigue permanente qui me terrasse, des malaises quotidiens, des angoisses mortelles d'agressions, de mon incapacité à m'endormir, de cette impression d'être folle, de l'incapacité à me laisser approcher par un homme, du black out sur mon enfance et mon adolescence, du mépris envers moi même, de la honte, de la culpabilité……et de tant d'autres choses. J'essaie de relever la tête alors que je me noie, j'ai un terrible besoin de dire, de parler, de sortir ce secret immonde de mon être et j'envoie une lettre à mes parents pour leur dire que je me souviens. Et là je prends coup après coup, insultes, menaces, on me dit que je suis folle (et je vais encore le croire), que ce sont de faux souvenirs (je vais croire que j'ai tout inventé). Mon frère me trahit et me tourne le dos, comme ma nièce. Mon autre frère lui, je l'ai perdu de vue depuis 15 ans, il a fuit la famille. Je finirai par le retrouver et il me racontera lui aussi son calvaire, le harcèlement moral incessant, les humiliations........ ce père qu'il qualifie de pervers narcissique après des années de thérapie. "Mon père" ira jusqu'à écrire au procureur de la république en joignant ma lettre pour dire qu'il ne comprend pas pourquoi je l'accuse d'inceste et dira que je pratique l'exercice illégal de la médecine. Je suis énergéticienne depuis quelques années, dans la relation d'aide, ayant trouvé une force de vie dans la méditation, le travail psychique et émotionnel pendant plus de 20 ans.
La gendarmerie ne croit pas mon père, et me croit moi. Je n'en reviens pas. Ils me disent qu'il faut voir s'il y a d'autres victimes, ils pensent qu'il a le profil du pédophile, ils disent que pour moi il y a prescription…….. L'adjudante est un ange, je ne l'oublierai jamais. Elle m'a reconnue comme victime, vous ne pouvez pas savoir ce que cela représente pour moi ! J'ai prié le ciel pour que les autres victimes potentielles n'existent pas, pour qu'il s'en soit pris seulement à moi et pas à d'autres enfants. Cette idée d'autres petits violés par ce monstre m'est insupportable. Je n'ai jamais eu de nouvelles, mais je suis certaine qu'il a fait beaucoup de mal autour de lui et je suis certaine qu'aucune preuve n'aura été trouvée, qu'il s'en sera encore sorti. Il est d'une grande intelligence perverse, et extrêmement méfiant. Mon père a 84 ans aujourd'hui. Je ne vois plus personne de cette famille qui m'a tourné le dos. C'est comme si j'avais été agressée une nouvelle fois. C'est moi la victime. Pas eux. Mon père devrait être en prison mais il finira ses jours dans la sécurité la plus totale et ne sera jamais puni pour les crimes ignobles et lâches qu'il a commis. Ma mère elle, ne m'a jamais donné signe de vie. Je sais aujourd'hui que je ne serai jamais reconnue officiellement. Ni par ma famille, ni par la justice, excepté par l'adjudante et je lui en serai gré toute ma vie. Une immense reconnaissance aussi à mon mari et mes deux enfants qui n'ont jamais douté de moi et qui m'ont soutenue lors de mon chemin de croix, c'est grâce à eux et pour eux que je m'en suis sortie…
Le problème est que notre société croit l'agresseur et non la victime, dès lors qu'il s'agit de viol ou d'inceste. La justice est dans le déni le plus total et nie totalement la gigantesque destruction physique et psychique qui en résulte. Nous sommes dans un monde inversé où les pervers sont rois. La justice ne semble pas connaître les traumatismes engendrés par de telles atrocités. Il y a des conséquences dramatiques qui font de notre vie un enfer. Et personne ne nous croit. On nous dit "mais je n'ai rien entendu, alors ça ne peut pas être vrai" ou bien pour une femme, "elle l'a cherché, elle était en short", "elle aurait pu hurler et s'enfuir" etc etc etc……… Mesdames et Messieurs de la justice, renseignez vous sur la dissociation traumatique que le cerveau met en place pour empêcher la mort physique. Et vous comprendrez. Moi je reste avec cette blessure béante, cette injustice sans nom. Comment appelle t-on une société qui laisse maltraiter en toute impunité des êtres humains sans défense ??? En ce moment même imaginez un peu le nombre d'enfants et de femmes violées et battues, parfois à mort ??? A chaque instant, cela se passe à l'insu des autres. Mais je ne vois rien alors ça n'existe pas, c'est ça ?? Alors s'il vous plaît, ouvrez les yeux sur la réalité telle qu'elle est. Sortez du déni. Voyez nous comme des victimes et non comme des menteurs ou des affabulateurs. L'inceste et le viol restent irrémédiablement des tabous qu'il est plus facile d'ignorer que de regarder en face. Ne rien voir, ne rien faire contribue à construire une société malsaine en laissant les pervers manipulateurs avoir raison. Cela leur donne le droit de continuer à détruire des enfants innocents qui seront des adultes en très grande souffrance. Comment construire un société qui va bien si au départ, on maltraite la génération en devenir ? Peut être vous même qui avez le courage de lire ces lignes avez vous vécu des choses difficiles, ou bien peut être existe t-il dans votre famille ou dans votre entourage des gens qui souffrent dans le secret d'une solitude destructrice. Oui, derrière les portes closes des maisons, tout peut arriver.
Catégorie: Prescription.