Pendant le COVID, j'ai commencé à avoir des flashs sur une suite d'événements que j'avais complètement relégués aux tréfonds de mon âme et de ma mémoire.
Tournis, abandon, incompréhension, solitude, colère, égarement, étonnement, désespoir, refus, schizophrénie, espoir, acceptation, renoncement... Je suis passée par tous les stades possibles et inimaginables. Le tout en ne montrant rien. Un masque parfait. Un sourire faux qui sonne juste. Une écoute et une présence lointaine orchestrée par un esprit tiraillé, coupé en deux. Partagé entre l'horreur, le devoir, la vérité et la nécessité bestiale de survivre.
Mon premier salut est venu de mes amies. Ma première bouffée d'air à peu près honnête. Sorties du COVID nous nous sommes réunies un weekend - toutes mères ou belles-mères, pour échanger sur nos différentes épreuves pendant cette période si particulière. C'est ce weekend-ci qui m'a convaincue que j'avais besoin de parler à quelqu'un. J'ai donc entamé une thérapie avec une psychanalyste spécialisée dans la transmission transgénérationnelle. Avec bien sûr pour point de départ ce constat: mon frère ainé a abusé sexuellement de moi pendant un été, il m'a convaincue que de le laisser pratiquer un cunilingus sur moi - 9 ans - lui 15 - était parfaitement normal. C'est mon frère aîné adoré, je l'ai écouté, je lui ai fait confiance. Je me sens trahie. Je pense que ça a dû arriver à 2 ou 3 reprises maximum. Sous la douche, sans que maman puisse s'en rendre compte (je me souviens bien de la mise en garde pitoyable contre ma mère). Puis cet été s'est terminé.
Je me souviens avoir parlé de cela une fois à une amie d'enfance qui avait son âge à lui peu de temps après- mais sa réaction m'a fait peur: si c'est vrai, c'est très grave et très mal - il va être puni. Je ne voulais pas qu'il soit puni. Je ne voulais pas qu'il lui arrive quelque chose de mal. Ce n'était pas et n'est pas une mauvaise personne. Il a fait une énorme connerie. Incompréhensible , insensée, insupportable, irréparable - mais je crois pouvoir affirmer qu'il s'est rendu compte que s'en était une - de connerie. En revanche que je le crois gentil ou non, repentis ou non - ça ne change rien à mon état. J'ai ressassé cette histoire dans ma tête comme une toupie, un disque rayé depuis avril 2020 soit plus de 3 ans maintenant. Ces 3 années ont été extrêmement difficiles. Avancer, sourire, travailler, recevoir, donner - je pense que j'ai absolument tout relié à ces moments d'abus. Une sacrée comédienne, triste et seule. La question qui revient le plus c'est: pourquoi? de quel droit? à 15 ans on connait les limites non? comment avancer avec ça? que faire de ma famille nucléaire d'enfance: l'informer? me détacher? arrêter les noels et les vacances, les réunions de famille? séparer des cousins qui s'adorent? confronter mon frère? pourquoi faire? pour attendre quoi? que faire avec la famille que j'ai créée? parler à mon mari? à mes enfants pour les protéger? ou au contraire sourire et essayer de ré-oublier?
Le sentiment de responsabilité d'une (fausse) unité familiale à préserver est vertigineux. Jolie et grande famille, sourires faux et vrais mélangés, mère fragile, père discret - que leur laisserai-je si j'ouvrais la bouche en grand pour gueuler comme à la naissance? Pas sûre qu'ils voient ce cri de douleur d'un oeil aussi doux... Beaucoup de questions en fait. Jamais une réponse. Enfin si - récemment j'ai pris la décision de parler à mon époux. Je n'ai pas tout dévoilé, surtout pas de qui il s'agit - je n'ai pas la force de redessiner tout mon entourage familial. Mais j'ai dit ouvertement à quelqu'un que j'aime que je suis une victime de violences sexuelles. C'est déjà ça. Est-ce que c'est suffisant? Je ne pense pas...
Mon corps me parle depuis cette annonce: angine + otite, en d'autres termes: je suis coupée de la parole et coupée de l'aide extérieure puisque je n'entends rien. Ou alors je m'empêche de parler et refuse de me faire entendre... ou alors... tellement de possibilités! Ce qui est sûr c'est que mon corps s'est littéralement coupé en 2 - une partie qui entend et interagît avec le monde - une autre autiste, repliée sur elle-même qui n'entend rien et essaye de ne pas parler en retour du rien. C'est comme si ces 3 années de dualité prenaient fin, ou se matérialisait littéralement devant moi. Je ne sais pas si c'est vraiment une fin, peut-être plus une étape. C'est en rentrant du yoga ce soir que j'ai pris conscience de mon état limite schizophrénique. Très certainement la raison de mon témoignage. Le poids de ces 2-3 douches sur ces 3 dernières années et celles qui suivront (j'espère nombreuses j'ai bientôt 40 ans!) est colossal. La mémoire a disparu pendant 27 ans pour rejaillir - mais la douche ne s'arrête plus, elle fuit. Petit à petit je réduis le débit. De torrent, cascade elle est passée à flux plus régulier, plus contenu grâce à cette demi-vérité, je ne suis plus loin du ploc ploc ploc! Et c'est déjà bien.
J'envoie un courage infini à toutes les victimes de petits et grands abus... L'échelle de l'horreur n'a peut-être pas lieu d'être mais quand même, en tant que victime - je pense à la chance que j'ai d'avoir vécu bien moins pire que d'autres. Et rien que pour eux, je vais continuer à la dompter cette satanée tuyauterie. Pas à pas.
Bonjour, merci d'avoir partagé votre histoire. Je suis actuellement en train de vivre la même chose que vous, le secret me pèse énormément. Mais je suis comme muselée.
La thérapie vous aide-t-elle ?
Tu ne devrais pas dire que tu a vécue moins pire que d’autre car chacun vit cette agression différent mais pour toutes et tous c’est dur nous somme tous égaux, nous avons été agresser alors que nous ne demandions rien juste une enfance joyeuse… alors ne te dit pas que tu a vécu moins pire que d’autre s’il te plaît.