La face cachée de l'inceste

Témoignage Publié le 18.03.2009

Je suis un homme de 25 ans, et je suis présentement une psychothérapie pour apaiser le mal de vivre qui me tenaille depuis si longtemps que j’ai oublié quand ça a commencé. Je suis comme un zombie, j’erre dans la vie sans trop me questionner, je n’ai pas de repère et ma famille est absente de ma vie. Mon passé n’est qu’un brouillard derrière moi. Je ne pense pas au sexe, ni aux relations, je suis comme asexué, je fuis l’intimité et les relations. Depuis que je suis ado, je croyais que j’étais homosexuel, mais depuis quelques temps, en m’ouvrant à l’idée que je suis puisse être aussi attiré par les femmes, j’ai subitement des images troublantes de ma mère qui me viennent à l’esprit lorsque j’essaye de penser à la sexualité féminine.


Pourtant, je n’ai jamais subit de viol génital, alors je croyais que j’étais en train de devenir fou. Je ne parle plus à ma mère, ni à ma sœur aînée depuis 5 ans, je n’ai que quelques contacts superficiels avec mon père. Plus jeune, ma mère était une personne extrêmement envahissante. Quand j’étais enfant, elle était dépressive, puis lorsque je suis devenue adolescent, elle est devenu folle – littéralement, la schizophrénie. Elle disait toujours tout ce qui lui passait par la tête, sans retenue, et exigeait que nous en fassions de même, moi et ma sœur. Mon père, toujours au travail, n’a jamais eu la maturité nécessaire pour être un père et passait la plupart de son temps à être absent ou à se moquer de nous, et à ignorer les lubies de sa femme.

Lorsque mon père s’est enfin séparé de ma mère il y a 5 ans, c’est comme si je m’étais séparé d’elle avec lui: J’ai coupé tous les ponts, incapable de la supporter. Jusqu’à la fin de mes études, j’ai dépendu de lui financièrement dans une sorte de relation amour-haine, où j’ai en quelque sorte vendu mon amour-propre en échange de ma pension mensuelle.

De l’extérieur, on pourrait dire que je suis quelqu’un de normal malgré la famille éclatée dans laquelle j’ai vécu. Il faut dire que je me suis fait aider par un travailleur social lors des deux dernières années au lycée, je suis parvenu à guérir de ma phobie sociale et à m’épanouir, malgré tout, malgré les descriptions de la situation à la maison, jamais l’intervenant n’a voulu remettre en question l’autorité de mes parents. Même si je lui disais que ma mère avait des délires. Même si je lui disais que mon père passait son temps à se moquer de moi et à me traiter comme un chien. Le message était clair : » tes parents sont dysfonctionnels et c’est malheureux, mais c’est ton destin et tu dois faire avec peu importe ce qu’il arrive ».

Avec cette règle établie, je n’osais jamais vraiment aborder les malaises qui me hantaient. Alors ces malaises, je les oubliais presque systématiquement puisqu’ils ne « comptaient pas ». Pas de souvenirs des malaises : pas de malaise.

Et pourtant…

Depuis mon plus jeune âge, mes parents portent le titre de « père » et « mère », mais en réalité, à la maison, c’est n’importe quoi.

Avec ma mère, il faut toujours paraître heureux et lui dire de belles choses, sinon elle se met rapidement à déprimer et à pleurer. En quelque sorte, il faut s’occuper d’elle car elle ne peut pas se suffire par elle-même et se réaliser à travers son mariage. Mon père lui, est toujours absent et se moque de tout le monde à la maison. J’ai peut-être de vrais parents en chair et en os, mais je n’ai aucune figure parentale pour combler mes besoins.

Comme mon père part travailler très tôt, elle se retrouve toujours seule au lit le matin, et ma sœur et moi allons souvent la rejoindre et passer du temps avec elle, dans le lit parental. Comme ma sœur, je ne me gène pas pour me glisser sous les draps pour me rapprocher de ma mère, qui semble apprécier ces petites attentions. Nous faisons souvent des jeux de pieds et des chatouilles. Ce petit manège routinier se poursuit jusqu’au début de mon adolescence. Nous nous rapprochons.

À mesure que je vieillis, je deviens très près de ma mère, elle me parle souvent de son quotidien, de ses activités banales, de ses pensées. À chaque fois qu’elle parle de mon père, elle parle contre lui. Plus vieux, elle ne se gène pas pour nous dire que si elle continue de vivre avec mon père, c’est pour le confort matériel. Elle dit qu’elle le trouve con et pas très futé. Elle nous parle très souvent de ses fantasmes d’évasion avec d’autres hommes, souvent des stars du cinéma, avec qui elle aimerait bien refaire sa vie, me raconte qu'elle et mon père n'ont pas couché ensemble depuis des lustres, que c'est dommage parce qu'il est bien montré, etc.

Ma sœur s’est mise à s’habiller au même endroit que ma mère, même si ma mère s’habillait comme une femme de 40 ans et que ma sœur n’en avait que 15. Celle-ci payait ses vêtements aussi. Ma mère disait qu’elles se sentaient si proches qu’elles en étaient presque des lesbiennes, en rigolant. Éventuellement, ma mère a délaissé la chambre parentale pour dormir dans la chambre de ma sœur.

Mon père lui, se promène en caleçons dans la maison sans que cela ne l’importune et se moque de notre pudeur si nous protestions à sa vue. La salle de bain elle, n’avait pas non plus de statut privé. Même si je verrouillais la porte pour me laver, ma mère, ma sœur ou mon père ne se gênait pas pour forcer le verrou et faire leur besogne. Ces intrusions me rendaient très mal à l’aise et j’en devenais pratiquement paranoïaque lorsque je devais me laver.

Pour vivre en harmonie avec ma mère, il suffisait de se laisser dicter toute pensée ou conduite sans broncher. C’est à partir du moment où j’ai commencé à m’affirmer que c’est devenu insupportable. Comme si elle ne supportait pas l’idée que je sois une entité indépendante, à part entière. Elle me reprochait d’être trop gros, décidait de mes coupes de cheveux, examinait les vêtements que je voulais porter.

À ma puberté, elle est devenue obsédée par ma pilosité faciale et exigeait que je sois toujours très bien rasé. Lorsqu’elle a appris que j’avais des éruptions cutanées au derrière, elle s’est mise en tête de m’examiner elle-même et malgré moi, elle et ma sœur m’on immobilisé de force, le temps de passer mes pantalons pour jette un coup d’œil à mon arrière-train. Elles ont trouvé cet incident très amusant, malgré mes protestations indignées. Pour elle, ce genre de copinage n’était que des familiarités amusantes, c’est pourquoi elle ne se retenait pas pour m’administrer une tape « coquine » sur les fesses dès que l’occasion se présentait.

Pour ma soirée de graduation au lycée, elle en parlait comme si ce serait son événement à elle, son couronnement. Tellement que, pour mon habit, elle a choisit tous mes vêtements pour moi, malgré mes protestations. Si je contestais le fait d’être habillé par elle seule, elle piquait une crise d’hystérie, avec les larmes et tout le baratin habituel. C’est ainsi qu’à ma propre soirée de graduation, je me suis retrouvé accompagné de ma mère, ma sœur, deux amis de ma mère, et avec les fringues que j’avais sur le dos, j’étais habillé comme un homme de… 40 ans, même costard, même souliers. Ce fut la pire soirée de ma vie.

J’ai trouvé le courage de quitter cet environnement malsain, ma sœur elle vit toujours avec ma mère. Elles se sont acheté une maison ensemble, elles ne se quittent pas d’une semelle. Aux dernières nouvelles, ma sœur n’a jamais eu quelqu’un d’autre dans sa vie et obéit au doigt et à l’œil à ma mère qui lui dicte sa conduite ainsi que la « bonne manière » de voir le monde, d’interpréter la réalité. Parfois, je me demande si un jour ma sœur finira par craquer.

Et moi, maintenant, qu’est-ce que je deviens ? J’essaie de comprendre ce qui m’arrive, j’essaie de savoir pourquoi j’ai de la difficulté à m’accrocher à la vie, à sourire. Pourquoi j’ai des idées d’automutilation qui m’effraient à chaque fois que je tiens un couteau dans la main ou un sac en plastique, pourquoi parfois j’aurais envie de m’étrangler. J’ai longtemps fouillé dans des livres de psychologie et je suis pour la première fois tombé sur des descriptions authentiques de l’ambiance qui régnait à la maison : le climat incestuel. Si je n’avais pas trouvé ces informations par moi-même, j’aurais probablement fait comme à toutes mes autres thérapies, j’aurais atténué mes symptômes pendant un certain temps, puis serais retourné à la case départ, comme toujours.

Je ne savais pas qu’il y avait un nom pour ce genre de relation toxique. Je ne savais pas qu’il s’agissait de l’inceste.