Construire sa vie après le chaos, la rupture familiale, le procès. Survivre, se tenir debout avec certains jours une boule dans la gorge si grosse qu'elle est douloureuse. Se sentir seule car mes meilleures amies même si elles sont là, ne peuvent pas lutter contre mon immense tristesse. Une ombre parmi les autres. Et puis le temps passe.
Mais alors que je peux vivre mon présent sans être toujours hantée par mon enfance, par le père violent et incestueux, c'est mon entourage qui me le renvoit à la figure, comme une malédiction. Ma mère interdit qu'on en parle mais reste prisonnière de cette vie là, comme si elle essayait d'être la mère protectrice qu'elle n'a pas su être, répétant encore et encore tout qu'elle a fait pour nous de bien quand on était enfants. Elle s'efforce d'intervenir aujourd'hui quand elle aurait du le faire jadis. Elle entretient l'angoisse de faire moi-même le mauvais choix qu'elle a fait hier en faisant sa vie avec le père, à 16 ans.
On m'avait que c'est le temps qui apaise, qui soigne le mieux et je ne l'ai pas cru tant ma douleur était grande. Se faufiler entre les obstacles pour ne pas être abîmée davantage mais être abîmée pourtant. Parce qu'il y a ma petite soeur qui se tue encore et encore, qui jette à la figure du premier venu les détails de l'inceste, qui brandit son traumatisme dès qu'on la contrarie.
Pourtant c'est vrai. Le temps, des années... pour arriver à dire "je", pour se construire un petit havre de paix qui résiste aux orages, pour vivre et plus survivre seulement. Que les moments de ténébreux orages soient moins long que les brillants soleils.
Il y a le temps mais il y a aussi cet homme dont je suis amoureuse, que je connais depuis 3 ans. Une histoire chaotique, avec des rebondissements. Il m'a fallut du temps pour apprivoiser mes angoisses, apprendre à me donner à lui, à ne pas le voir comme un danger potentiel, à lui parler de ce que je ressens. On a manqué de se perdre pour de bon mais on s'est retrouvé encore et encore, un peu par hasard.
Maintenant je suis sûre de mon choix, je l'aime et c'est lui que je veux. J'ai envie d'avoir des enfants de lui. Je sais que c'est quelqu'un de bien, de profondément bienveillant qui me respecte. Je suis rendue compte qu'il était sensible, plein de bon sens, généreux et parfois fragile; non un être égoïste, éventuellement violent à l'image que j'avais des hommes.
Je suis enfin sûre de moi mais pour y parvenir il m'a fallut le cacher à ma mère et à ma grand-mère pour qu'elles ne s'insinuent pas à nouveau dans ma tête, pour brandir le fantôme du père et me convaincre de le quitter. Ma mère a appris il y a peu qu'on s'était retrouvé et je sais par ma soeur qu'elle a fait encore le lien avec le père, en le traitant de manipulateur. Quant à ma grand-mère, elle a sous-entendu que je risquais de faire comme ma mère qui s'est enfuie de chez elle à 16 ans et enceinte à 17 contre l'avis de sa famille. Car il semble que dans sa tête inceste et maltraitances soient la conséquence logique du mauvais choix de ma mère.
Je trouve ça ignoble, insupportable mais je les aurait à l'usure car je vivrais ma vie sans elles s'il le faut. Je refuse d'être enfermée dans un bocal avec du formol. Que leurs intentions soient bonnes ou non. Je n'en peux et n'en veux plus de leur culpabilité.
Le choix de ma mère
Témoignage
Publié le 28.06.2009