Lettre à ma famille
Dire. Parler.
C’est peut être un effet de mode me direz vous. Une surmédiatisation, en ce moment, de toutes ces violences faites aux femmes. Agressions sexuelles, viols, harcèlement. Pourquoi se réveillent-elles toutes d’un seul coup ? Au même moment ? Elles s’entraînent les unes les autres ? Elles mentent ? Elles exagèrent ? Elles dramatisent ? Non, elles se réveillent enfin. Elles se respectent. Elles se donnent mutuellement du courage. De la force. Du soutien.
Non, ce n’est pas banal. Non, ce n’est pas normal.
Non. Il faut dire non. Il faut FAIRE non, ensemble, parce que le dire ne suffit pas. Parce qu’un « non » de femme, c’est comme un « non » d’enfant. Ca n’a pas de poids. On décide pour eux à la fin. Comme s’ils ne pouvaient pas prendre leurs propres décisions. Par contre, un oui de femme, c’est comme un oui d’enfant. Celui-ci on le prend pour argent comptant. On le croit et on l’utilise. On lui donne du crédit, de la valeur, on s’en sert. Et c’est pour ça que, non, cette enfant des médias n’a pas été violée à 11 ans. Elle était consentante. Elle avait dit oui.
Je ne veux pas participer à ce monde. Je ne veux pas que mon expérience, que ma voix, ne servent à rien. Je veux en faire quelque chose. Je veux que mes souffrances servent à épargner les autres. Je veux poser l’interdit. Pour moi, pour vous, pour les générations futures.
Pourquoi maintenant ?
Parce que j’ai une fille aujourd’hui. Parce que je veux lui montrer l’exemple. On peut DIRE. On doit DIRE. On doit PARLER. On ne doit pas accepter. Parce que toutes ces femmes me donnent du courage aussi. Le courage de faire autrement. Le courage de ne pas reproduire. Le courage de poser ma pierre à l’édifice, dans la construction de ce nouveau monde… Où l’intolérable ne sera plus toléré. Et elles me font comprendre que le processus de guérison sera inachevé tant que je n’aurai pas dénoncé.
Vous ne pouvez pas vous imaginer comme cette démarche m’est difficile. Parce que je sais que je vais vous faire du mal. Je sais que ça va être dur pour chacun de vous. J’y pense depuis des années. Depuis des mois je m’écris cette lettre dans ma tête (et cela fait maintenant des mois qu’elle est écrite sans que je l’ai envoyée). Je cherche comment transmettre sans accabler, comment écrire sans accuser, comment faire pour que personne ne souffre.
Eh bien, je ne peux pas.
Presser la plaie jusqu’à ce que tout le pu soit évacué… ça fait mal. Un mal nécessaire. Alors j’espère que d’ici quelques temps, chacun se sentira plus libre de ce tabou. Parce qu’il pèse, inconsciemment, en chacun de nous. La vérité, c’est que je ne sais même pas comment le dire. Je suis coincée devant mon clavier à énumérer des termes que je trouve trop durs à écrire. Mais c’est parce que la réalité est dure. Ca n’a rien à voir avec la façon dont je vais la dire. Je voudrais édulcorer, mais je ne peux pas.
Mon cher papy, ce cher papy que j’aimais tant, avant… Avant que je comprenne… Avant que nous comprenions… Parce qu’à 9 ans, on ne sait pas bien ce qui se passe… Surtout quand c’est devenu une habitude. Eh non, ce privilège des instants duels n’en était pas un. Ce cher Papy a trompé mon innocence. Mon enfance. Il m’a volé mon insouciance. Il a abusé de moi. Si ça peut faire une différence dans vos esprits, il ne m’a pas violée, non. Mais après quelques années de thérapie je peux vous affirmer que la mémoire est sélective.
Je suis consciente que je jette un pavé dans la marre. Que les ondes d’eau qu’il provoque vous heurteront. Que chacun va se pencher sur sa propre histoire, sur ses propres souvenirs, sur ses propres enfants, et se poser la question qu’on ne voudrait jamais se poser. La question qu’on a peut être refoulée depuis des années, parce qu’elle est trop difficile à gérer…
A-t-il fait d’autres victimes ? À elles seules de juger aujourd’hui si oui ou non elles veulent en parler. Ici je ne parlerai que de moi, et de Serge B. .
En me penchant sur le sujet de l’inceste, j’ai lu que 90 % des victimes qui en parlent sont rejetées par leur famille. Je prends ce risque. J’accepte. Je n’en veux et n’en voudrai à personne. Mais je veux que vous vous sentiez libres de venir m’interpeller si vous le souhaitez. Ma porte est ouverte pour en parler. Aujourd’hui, dans 10 ans… Je suis navrée de la peine que je vous fais, sincèrement. Mais je reste intimement convaincue qu’elle est nécessaire. Il faut briser les tabous, si nombreux à ce sujet. Pour que ça ne se reproduise pas. Pour poser l’interdit. Pour construire un monde meilleur aux générations futures. Pour ne pas être complice.
Dire. Parler.
Avec toute ma bienveillance, Votre fille, sœur, nièce, cousine,
Claire.
J'ai parlé à ma famille aussi, j'ai ouvert ma grande gueule et assumé ma posture de vilain petit canard. Et bien certains membre de ma famille me sont devenus beaucoup plus proches depuis. Parce que libérer la parole fait ressortir la vérité et qu'au bout du compte cette vérité soigne la maladie familiale entretenue par le déni et l'omerta.