Depuis mon enfance pas comme les autres, j'ai vécu bon nombre de symptômes plus ou moins handicapants. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, j'ai compris puis accepté le fait que mes maux et mes "petites phrases" étaient la conséquence de l'inceste. Depuis cette prise de conscience, je vais beaucoup mieux. Ces symptômes étaient comportementaux, physiques, psychologiques, émotionnels... Je dis "étaient" car aujourd'hui, j'apprends tous les jours à les dépasser. Certains ont disparu depuis longtemps, remplacés par d'autres, et d'autres encore. Et puis un jour, j'ai accepté que ce n'était pas ma faute, que ces symptômes ont été ma façon d'appeler au secours, de me défendre, de me protéger, de ne pas devenir folle. Quant à mes "petites phrases", je leur réserve maintenant un nouveau sort. Je sais maintenant que la plupart des survivants de l'inceste ont aussi ressenti et vécu certains de ces symptômes, ou bien d'autres encore, que c'est "normal" d'être atteint(e) par la violence de l'inceste et de réagir.
Quand les abus de mon père ont commencé j'avais six ans et immédiatement j'ai eu ces divers symptômes pour appeler au secours, attirer l'attention de ma mère, dire autrement qu'avec des mots puisque cela m'était interdit :
* fugues
* somatisation : bronchite chronique, asthme, allergies.
* Plus tard ce fut successivement : anémie, surmenage, pertes de connaissance, nausées, maux de tête à répétition, problèmes dentaires (perte de dents, infections gingivales, érosion des os de la bouche), problèmes intestinaux (aérophagie, maux de ventre...), absence de règles pendant plusieurs mois, insomnies, crises d'acné aiguës (à l'âge adulte), problèmes de dos chroniques
* bouderies : je ne parlais pas pendant plusieurs jours d'affilée
* vol d'argent dans le porte monnaie de ma mère
* dès sept ans , peur du temps qui passe, de la mort
* difficultés à m'intégrer à la vie scolaire, à jouer avec mes camarades
* tabagisme : à huit ans, j'achetais mes premiers paquets de cigarettes
* image corporelle déformée : à dix ans je me trouvais énorme alors que j'étais normale. Je faisais mon premier régime et commençais à courir quotidiennement pour maigrir. à l'adolescence, ce symptôme s'est aggravé alternativement en anorexie et boulimie
Dans mon adolescence puis à la vie adulte certains symptômes ont disparu, d'autres sont apparus au fil de ma vie :
* repli sur moi même, isolement
* tentatives de suicide
* hyperactivité scolaire puis hyperactivité professionnellehyperactivité sportive
* dépression chronique
* crises nerveuses avec automutilation, crises d'angoissehyperémotivité
* dépendance (tabac, drogues)
* frigidité, problèmes d'identité sexuelle
* problèmes d'intégration sociale : impossibilité de supporter une hiérarchie, perte d'emploi, vie nocturne, prostitution, fréquentation d'individus marginaux
* désordre ménager : incapacité, manque de volonté pour tenir ma maison, faire le ménage, me faire à manger, report au lendemain
* hyperindépendance (volonté d'assumer tout toute seule)insécurité financière : découvert permanent à la banque, dépenses inconsidérées, dettes fiscales et autres
* manque de confiance en moi : sentiment d'être laide, nulle, de tout faire de travers, sentiment de culpabilité, de honte
* incapacité de reconnaître mes besoins, mes désirs, incapacité de dire non aux autres
* dépendance affective avec impossibilité d'accepter l'intimité, de vivre en couplebesoin incontrôlable de plaire, de séduire,
* quête irrationnelle d'amour, amours platoniques irrationnelles
* impudeur
* codépendance : attirance pour des hommes fragiles (malades, alcooliques, marginaux), besoin de tout contrôler, je changer l'autre pour combler mon vide intérieur, réactivation inconsciente de la relation incestueuse avec les hommes en leur donnant un pouvoir sur moi, sur ma vie
* fuite dans le rêve, l'imaginaire
* impression que quelqu'un voit tout ce que je vis et connaît mes penséessentiment d'être folle, envie de tuer
* difficultés à accepter les compliments et à en faire aux autres
* apitoiement sur moi même
* manque de confiance en l'autre, excès de confiance en l'autreincapacité à reconnaître mes qualités, concentration sur mes défauts
* absence d'amour pour moi même
* déni : incapacité de voir et d'accepter l'origine de tout cela en face
Maintenant, voici mes "petites phrases" qui m'ont fait plus de mal que de bien :
* si j'avais eu d'autres parents
* si j'avais eu des parents
* je n'ai pas eu de parents
* de toutes façon, je suis nulle
* je n'y arriverai jamais
* c'était facile !
* je n'ai pas eu de chance dans la vie
* les autres sont heureux et pas moi
* je ne peux pas avoir cela, ce n'est pas pour moi
* personne ne m'aime
* personne ne m'a jamais aimée
* j'aurais dû dire non
* à quoi ça sert
* ça ne sert à rien
* je ne m'en sortirai jamais
* ...
... ET MAINTENANT...
Aujourd'hui, j'apprends à réagir autrement, à me pardonner, à m'aimer, à être bonne pour moi. A chaque fois que mes petites phrases pointent leur nez, je les considère et je me dis qu'elles agissent sur moi comme un poison violent : elles ne m'aident pas, elles m'enfoncent. Alors je les chasse et je les remplace par des grandes phrases positives campées dans la réalité. Je regarde en face ce que je suis en m'obligeant à voir ce que j'ai réussi à accomplir de positif, réalisé de concret : grandes et petites choses de la vie. Et finalement, je réalise que je ne mérite pas de me traiter aussi durement.
Les problèmes, j'ai choisis il y a des années déjà, de les traiter un par un : "un problème chaque jour" et surtout pas tous à la fois car c'est inhumain.Si je n'arrive pas à régler un problème un jour, je le laisse de côté et je m'en charge plus tard, quand ce sera possible, quand j'aurai plus de force pour l'affronter.
Quand je me mets en situation de dépendance affective, je vais mal. Un jour, j'ai compris cela. Alors, j'ai cessé d'attendre qu'une seule personne me donne tout ce que j'attends surtout si ce que j'attends n'est pas réaliste. Je regarde autour de moi et finalement je vois qu'il y a des personnes qui m'aiment : mon enfant, mes amis... J'apprends surtout à reconnaître les différents visages de l'amour. Chacun a sa façon a lui d'aimer en fonction de son histoire, de sa personnalité.
Maintenant, je m'oblige à faire chaque jour au moins une chose pour moi seule, une chose qui peut me faire plaisir, me faire du bien. Quand je fais cela, ça va bien mieux. Et puis, même si je n'ai ni courage, ni désir, je m'efforce de faire une chose concrète chaque jour : ranger quelque chose dans ma maison, régler une question administrative, téléphoner à un ami que je n'ai pas entendu depuis longtemps, faire mes comptes...
Un jour, il y a presque dix ans de cela, je discutais avec une femme plus âgée que moi que je connaissais depuis peu. Tout à coup, elle me dit : "Mais, finalement, tu n'es pas heureuse !". Elle ne savait rien de ma vie. Cette phrase a déclenché en moi une forte émotion et là, j'ai réalisé qu'effectivement, je n'étais pas heureuse. Ce jour là, j'ai décidé que plus personne jamais ne m'obligerais à faire ce que je n'ai pas envie de faire et j'allais m'employer à être heureuse simplement, sans rechercher des sensations fortes partout, tout le temps. Il m'a fallu des années pour y parvenir, marche par marche, avec des hauts et des bas.
J'apprends à me renvoyer une image positive de moi même, à avoir confiance en moi, à fréquenter des personnes qui vont me faire du bien, des personnes positives. J'apprends aussi à demander de l'aide quand j'en ai besoin au lieu de me replier sur moi, de m'isoler. Je me soigne quand je suis malade.
Autant que ma volonté, mon aspiration au bien être sont mes moteurs pour avancer. J'ai décidé que j'avais assez souffert comme ça, que j'ai le droit d'être bien. J'accepte mes qualités et mes défauts aussi. Je ne suis pas obligée d'être parfaite ! Chaque fois que je suis tentée de m'apitoyer sur mon sort, je pense à mes "grandes phrases" qui me font du bien :
* je ne veux plus être une victime
* je suis capable
* j'ai autant de chance que les autres
* je suis responsable de ma vie et de mon rétablissement
* personne ne le fera pour moi
* je suis intelligente
* j'ai réussi ceci ou cela
* j'y arriverai et si je n'y arrive pas, ce n'est pas grave
* j'y suis arrivé et ce n'était pas facile
* je me dois le respect
* si je suis disponible pour moi, je peut aussi l'être pour les autres
* j'ai toujours respecté mes convictions
* je m'assume bien
* j'ai le droit de "craquer"
* je ne suis pas parfaite et c'est normal
* je ne peux pas tout contrôler
* j'ai une jolie maison dans laquelle je me sens bien et c'est important pour moi
* quand je veux, je peux
* plus je sais et moins je sais
* je ne retournerai jamais dans le ventre de ma mère
* il y a des gens qui m'aiment
* j'arrive à me faire respecter
* non, je n'ai pas envie de...
* oui, j'ai envie de...
* je t'aime
Ecrire ces lignes, c'est déjà un bon exercice pour me rétablir, pour prendre ma vie en main, pour me reconnaître, être honnête avec moi même.
Isabelle.
Note : Ecrit par une victime d'inceste lorsqu'elle a quitté le domicile paternel à l'âge de dix-neuf ans :
Elle était jeune, elle avait l'air sain et propre, mais ses yeux trahissaient sa souffrance. "Nous créons notre propre système de dénégation", a-t-elle expliqué. "Nous érigeons un mur entre nous et ce qui nous est arrivé. Il existe de nombreuses façons d'ériger ce mur - la drogue, l'alcool, n'importe quoi qui puisse nous faire oublier. Si les gens parvenaient à voir ce qu'il y a de l'autre côté du mur, ils comprendraient peut-être que ces choix que nous faisons sont souvent le seul moyen que nous avons trouvé pour survivre".
Extrait du site : De victime à survivante : un modèle de traitement pour les survivantes de l'inceste