Grâce aux conseils des membres de ce site, j'ai commencé une approche thérapeutique - il faut dire que les prémisses se sont éternisés, mais après avoir attendu plus de vingt ans, on n'est plus à quelques mois près. L'ennui, c'est que je me pose maintenant la question de savoir si, après tout, je ne suis pas allé un peu trop loin. Je sais que cela peut sembler absurde, voire outrageant pour les autres victimes, mais je me suis à tel point enfoncé dans mon attitude stoïque que, généralement parlant, je fuis tout ce qui pourrait m'amener à reconnaître une fragilité qui me ferait montrer du doigt.
Ma mère, c'est un peu moi qui m'en chargeait. Je voulais être son joyau et, quand elle était en détresse parce qu'il lui manquait à boire ou autre chose, j'allais jusqu'à voler de l'argent à mon père pour qu'elle soit bien. Comment est-ce que je peux maintenant me mettre dans la situation de l'enfant qui aurait besoin. A force de serrer les dents, ma mâchoire n'arrive plus à s'ouvrir ne serait-ce que pour un "Ooooh" !
Pour m'en sortir, je me suis servi des outils qui me sont tombés sous la main : pour moi, donc, ce fut la philisophie et une réflexion poussée - mais malheureusement biaisée - sur la psychanalyse. Et voilà que l'approche thérapeutique semble remettre tout cela en cause, à un âge où les autres hommes se posent enfin sur leur fauteuil pour un repos bien gagné après le travail ! Non pas que j'envie le repos du guerrier - je suis apparemment le contraire du macho - mais, pour dire le vrai, j'ai un peu peur.
Il y a de cela deux ou trois semaines, j'ai passé plusieurs nuits à avoir peur de m'endormir à cause des rêves angoissants que je faisais. Aujourd'hui, j'en suis à craindre que des souvenirs ne me reviennent à l'esprit, que d'autres douleurs que celles dont je me souviens n'interfère avec mes projets. Quels projets ?
Est-ce que d'autres ont eu l'expérience de souvenirs oubliés revenant à la mémoire ?
Je me sens un horrible froussard, une mauviette comme ma mère disait souvent des hommes. Depuis que je commence à jouer le rôle du plaignant, du plaintif, de celui qui geint, je ne sais pas si je ne suis pas en train d'exagérer. Je reste très confus, comme quelqu'un qui serait enfermé depuis une éternité dans cette célèbre grotte de Platon, avec une barbe longue de douze siècles. J'en arrive même à impliquer mon grand frère sans avoir le moindre soupçon de souvenir ! C'est la machine qui s'enraye, moi qui débloque. Peut-être est-ce une tactique pour me discréditer moi-même ? De l'auto-sabordage de la part d'un adolescent qui aurait oublié de vieillir.
Sans compter que je n'ai personne à qui parler de tout ça : ma mère est morte, emportant sa culpabilité dans la tombe; mon grand-frère a disparu depuis longtemps de ma vie, mon père est ruiné par les anti-dépresseurs et sa mémoire est aussi droite et clair que le vol d'une hirondelle en plein blizzard. Je me suis brouillé avec mon deuxième frère. Il ne me reste que le silence de mes nuits, en gros, et quelque part, insidieusement, j'en étais content. Car après tout, même cette nouvelle démarche que j'entreprends comme "survivant", c'est pour ma compagne et mes enfants que je le fais: mais je me rends compte que ce n'est pas encore pour moi, bien que j'ai eu un avant-goût du désarroi qu'une approche ne laissant aucune échappatoire peut créer en moi.
Lorsque je me suis retrouvé à expliquer à ma psy que quelque chose en moi m'avait tout de même toujours poussé disons non pas à "guérir", mais au moins à me maintenir entre une vie morne et décharnée et la mort des sentiments à défaut de la mort physique, lorsque je me suis retrouvé à devoir répondre, tel un mauvais élève, à cette question horripilante : "qui", il m'a fallu bien cinq minutes pour sortir un "moi" qui me reste en travers de la gorge, comme si on me l'avait arraché. Je n'en suis pas fier, de cette réponse, je ne veux pas être plaint, mais je sais aussi que je me retourne et me débats inutilement.
Il me reste encore un dernier "espoir" dans ma rage contre moi-même, dans ma volonté de rester plongé dans mon marasme, ma honte, ma déchéance, ma rage contre moi-même : je ne me souviens de rien au-delà de mes 15 ans. J'ai quelques souvenirs d'école, mais rien à la maison - rien de rien.
Peut-être cela retardera-t-il l'enquête ? Ceux qui me liront ne comprendront peut-être pas tout, ou me prendront pour l'ado prétentieux et irrationnel que je suis resté. Voici un poème de Géo Norge qui m'a toujours fasciné:
Le Prisonnier
Les idées de Victor étaient comme des briques: égales, pesantes, aux arêtes vives. Il se mit à l’ouvrage et bâtit une tour superbe. Mais la porte fut oubliée. L’infortuné Victor enfermé par ses briques, ne trouva plus d’issue et périt lentement dans sa prison d’idées.
Sentiments contradictoires
Témoignage
Publié le 24.10.2007