40 ans après, j'ai toujours l'impression de devoir me taire pour protéger mes parents

Témoignage Publié le 27.06.2011

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Mon oncle m'a violé lorsque j'avais 6 ans et demi; ma grand-mère s'est suicidée deux semaines après avoir découvert cela; ensuite, j'ai tout oublié pendant de nombreuses années, même si mon corps "parlait", avec des évanouissements, et des attaques de panique. Cela fait 40 ans cette année que tout cela est arrivé; et 12 ans que la mémoire m'est revenue. Mon frère a confirmé ce que j'ai dit mais mon père et ma mère restent dans le déni, chacun à sa façon.

Aujourd'hui, cette histoire me bloque encore et toujours: c'est comme si le temps s'était arrêté pour moi; je suis toujours le petit garçon qui doit prendre sur lui, oublier, ne rien dire pour protéger les adultes. J'ai envie d'apporter mon témoignage aujourd'hui parce que je n'ai plus envie de taire mon histoire, je n'ai plus envie de protéger mes parents, leur respectabilité et surtout leur bonne conscience. 


D'abord les faits: je vivais avec mes parents et mon frère dans une petite ville de Normandie, mes grands-parents vivaient avec mon oncle dans un village, à 50 km de là; mon oncle (né en 1947) avait 9 ans de moins que mon père (né en 1938). J'ai été violé par mon oncle lorsque j'avais 6 ans et demi; cela a commencé à Pâques, lorsqu'il m'a obligé de caresser son pénis, à le prendre dans ma main; ensuite, un nouvel épisode le samedi 1er mai 1971 et encore pour la pentecôte; lors de l'un de ces deux viols, mon oncle pratiquera une pénétration.

Ma grand-mère, chez qui mon oncle vivait, découvre le comportement pédophile de son fils lors du week-end de la pentecôte: elle était partie avec mon frère ramasser de l'herbe pour ses lapins, me laissant seul avec mon prédateur. Lorsqu'elle est rentrée, elle a entendu des cris dans la salle de bains au premier étage et lorsqu'elle est entrée, elle a découvert la vérité. Mon frère était resté en bas de l'escalier et il m'a dit bien des années plus tard avoir vu sortir mon oncle de cette salle de bain avec un visage haineux, lui interdisant de monter. Le week-end de la pentecôte tombait du 28 au 31 mai en 1971; ma grand-mère s'est suicidée le 15 juin, n'acceptant pas d'avoir un fils pédophile. Je me souviens lorsque mes parents nous ont annoncé le suicide de ma grand-mère, à mon frère et à moi: nous étions dans le garage sombre à recevoir la nouvelle alors qu'il faisait un soleil éclatant dehors: c'est comme si la vérité, marquée par le soleil de l'extérieur n'arrivait pas jusqu'à moi.

Ensuite, l'été s'est passé et, quelques jours avant la rentrée, mon oncle m'a de nouveau violé. Il a essayé de m'étrangler et j'ai du crier si fort qu'il a pris peur. Les viols se sont alors arrêtés.

Mais ma vie a été pourrie par tout cela: bien que j'ai tout oublié, mon corps parlait. Toute mon enfance, on m'a expliqué que j'étais caractériel et insupportable (on le serait probablement à moins); mes parents m'ont expliqué qu'il fallait de «casser» pour que je ne finisse pas à ressembler à mon oncle; ensuite, des sentiments récurrents d'angoisse, avec le sentiment d'avoir la gorge serrée, comme si on m'étranglait; à partir de l'âge de 15 ou 16 ans, à la fin de tous les étés, j'avais des centaines de boutons sur les jambes: j'en ai compté jusqu'à 300; ils n'étaient que sur les jambes et sur aucune autre partie du corps; puis mon oncle a fini par se suicider mais bien plus tard, en 1986; la mémoire ne m'est pas revenue à ce moment là; ensuite, les symptômes se sont aggravés, avec plusieurs pertes de connaissances, plusieurs années de suite, au début du mois de septembre; des attaques de panique toujours au début septembre ou il me fallait sortir immédiatement, aller à la lumière plutôt que rester dans une pièce; j'étais presque capable de sauter par la fenêtre du 4-ième étage pour aller plus vite! Je ne voyais plus d'issue à ma vie sinon le suicide; je ne pouvais même plus acheter du fromage, de la viande, j'avais peur d'affronter les commerçants ou même n'importe qui.

J'ai retrouvé la mémoire très lentement, grâce à une psychothérapie que j'ai effectuée sur 7 années; j'y ai aussi trouvé le courage de l'expliquer au groupe de thérapie.

Aujourd'hui, j'ai une vie presque normale. Je dis presque car, si j'ai pu construire une vie de famille, avec ma femme et mes deux filles, il me reste au fond de moi un sentiment de culpabilité, d'absence totale de valeur qui me gâche la vie.

Maintenant, je voudrais aborder la dynamique familiale qui a régné autour de ces viols car, si mon oncle était bien le seul pervers pédophile de la famille, chacun a joué un rôle clef.

Mon grand-père était quelqu'un de très faible et effacé; c'était un petit artisan; il est clair qu'à la maison, c'est ma grand-mère qui dirigeait tout; ils avaient une existence modeste; pour arrondir les fins de mois, ma grand-mère élevait des lapins et vendait des bouteilles de gaz Butagaz. Ma grand mère rêvait en revanche d'une vie beaucoup plus luxueuse: par exemple, elle avait fait confectionner un manteau en peau de lapin pour mon père; elle lui avait aussi offert un coffret de rangement pour des flacons de parfum, objet plutôt luxueux pour l'époque; ces cadeaux avaient d'ailleurs mis mon père très mal à l'aise. Mon père est né en 1938 et mon oncle, en 1947, après la guerre. Mon oncle a été éduqué avec le droit de tout faire; bien plus, il a été éduqué avec l'idée qu'il faut certes donner l'apparence que l'on respecte les règles lorsque l'on est en public mais qu'en réalité, ces règles sont pour les autres. Bref les ingrédients de base qui peuvent conduire à une dérive perverse. Mon oncle était resté jusqu'à sa mort très enfantin; le curé qui l'a enterré dira d'ailleurs à mon père qu'il avait gardé une foi religieuse d'enfant.

Mon père était jaloux de cette relation exclusive entre son frère et sa mère; clairement, il avait le désir de distendre ce lien. Il a eu l'idée tordue que, lorsque nous étions chez mes grands-parents, mon frère était confié à ma grand-mère et moi, à mon oncle; de la sorte, il donnait des enfants au « couple infernal » et il les séparait aussi, mettant des tiers dans leur relation. C'est d'ailleurs quelque chose qu'il avait reproduit chez lui puisqu'il s'occupait en priorité de mon frère alors que ma mère s'occupait en priorité de moi.

Ma mère avait peur de son beau-frère: elle avait bien perçu que l'individu était dangereux et elle avait cru qu'il en voulait après elle; pour se protéger, elle a mis son fils entre elle et mon oncle! Mais cela lui permettait aussi d'accéder à la vraie demande de mon oncle et ainsi, en lui obéissant, espérer qu'il l'épargnerait. Bien plus tard, ma femme a toujours été stupéfaite de voir à quel point ma mère restait soumise à mon père; comme si en se soumettant à ce point, elle envoyait un message disant qu'elle n'était pour rien dans tout ce qui s'était passé, et que soumise à 100% à la famille de son mari, toute responsabilité devait être trouvée de ce côté là.

Je n'ai pu parler de tout cela qu'à mon frère, ma mère et mon père; en effet, mon oncle est mort en 87, ma grand-mère en 71 et mon grand-père en 72.

Mon frère a confirmé mon récit en apportant des briques qui collent bien avec les souvenirs que j'ai retrouvés; ma mère a reconnu que mon oncle était un pédophile puisqu'elle s'est inquiétée de savoir si mon frère avait lui aussi subi des viols (il ne semble pas); mais, au moins dans son discours conscient, elle ne se reconnaît aucun rôle; mon père n'a jamais accepté de reconnaître même que son frère était pédophile; pire, au fil des années, il a développé un profil de grosse merde, de collabo; il ne reconnaît jamais la vérité, détourne toujours les phrases des autres pour leur faire prendre un sens contraire à ce qu'ils disent: il mène des enquêtes d'utilité publique (routes, décharges …) et prend plaisir à expliquer aux riverains des futurs installations que leur avis sera pris en compte et pourra influer sur le projet puis, dans le rapport, il retourne ces arguments en montrant qu'il n'y a aucune objection sérieuse au projet.

Aujourd'hui, je me sens toujours prisonnier de mes parents: c'est comme si je devais encore et toujours les protéger en me taisant, en portant la culpabilité ou en faisant comme eux, en prétendant qu'il ne s'est rien passé: ils n'ont absolument aucune gêne et, lorsque nous nous voyons (seulement une à deux fois par an pour garder un contact avec mes filles), ils font absolument comme si rien ne s'était jamais passé. Cela me bloque, c'est comme si une horloge s'était arrêtée pour moi alors qu'elle continue pour les autres.