Portrait : Psychologue, j'ai appris sur l'inceste chez Face à l'inceste

Témoignage Publié le 10.12.2013

Par Elisabeth Devaux

Psychologue de formation depuis 2007, Marion a d’abord travaillé bénévolement trois ans au sein du groupe Face à l'inceste de Paris. Puis, son activité professionnelle l’emmène en haute Normandie ou elle exercera jusqu’à l’année dernière dans un centre hospitalier.

Dans quel cadre receviez-vous des patients ?

Je travaillais dans une clinique dans le secteur des addictions. Je me suis rendue compte qu’une victime sur deux avait été victime dans son enfance d’inceste ou de pédophilie. Les patients venaient pour des troubles alimentaires en majorité pour boulimie et dans le cadre d’un sevrage d’une addiction en particulier liée à l’alcool. J'ai réalisé qu’il y avait beaucoup de victimes sans parler de ceux qui ne parlent jamais !

Qu’avez-vous fait à l’ Face à l'inceste ? Et que vous a apporté de participer à la vie de l’association ?

J’ai eu très peu de cours à l’université sur tout ce qui touche à l’inceste. Participer à la vie de l’association et notamment co-animer le groupe de Paris m’a permis d’ouvrir les yeux. J’ai tout d’abord appris qu’il existait une association, une seule association mais également j’ai appris à écouter les victimes. Etant très sensibilisée au problème de l’inceste j’ai commencé à en parler autour de moi, j’ai ainsi pu découvrir que malheureusement c’était très répandu. Même dans mon entourage, il y avait des victimes. Les médias minimisent vraiment le nombre de victimes.

Comment réussissiez-vous à faire parler les patients ?

Lors des entretiens je posais des questions claires sans tourner autour du pot, c’est l’expérience que j’ai eue à l’ Face à l'inceste qui m’a permis de comprendre qu’il fallait être franc. Et j’instaurais un climat de confiance. Le patient comprenait qu’il pouvait avoir confiance, qu’il serait cru et écouté, et il se lâchait. Il savait que je ne remettrais jamais en cause leur discours. Les patients venaient pour cinq semaines de clinique pour traiter leur problème alimentaire ou consolider leur abstinence.

Comment pouviez-vous savoir qu’il fallait penser à l’inceste ?

L’expérience acquise à l’ Face à l'inceste m’avait appris à déceler les nœuds dans les discours, c’est-à-dire quand quelque chose me semblait choquant. Par exemple, quand il y avait une rupture familiale sans raison apparente, ou au contraire une forte emprise parentale. Ce sont les deux versants de la maltraitance. La personne mise en confiance parlait.  Bien sûr quand il n’y avait pas de déni c’était plus facile. Dans la majorité des cas d’alcoolémie que j’ai rencontré, il y avait plus de déni notamment car ce sont des hommes, que pour les personnes atteintes de boulimie qui parlaient plus facilement. Dans la plupart des cas je ne les revoyais pas car ils ne venaient que pour un séjour. Quand il y avait des choses délicates et que je manquais de temps soit je les orientais au sein de la clinique dans les services spécialisés soit je leur donnais des adresses des personnes à contacter.

Avez-vous eu des guérisons ?

Je connais la complexité de l’inceste et j’ai toujours essayé de mettre les patients en confiance. Dans les cas rencontrés à la clinique, je demandais s’ils avaient parlé à quelqu’un et à qui ? Je montrais que je connaissais le problème. Ils étaient en confiance et me parlaient plus facilement. Je les poussais à se libérer et à continuer. Nous discutions longtemps et je leur montrais le lien qu’il pouvait y avoir entre leur problème d’addiction et alimentaire et ce qu’ils avaient vécu enfant.

Comment réagissaient les victimes ?

Les victimes étaient reconnaissantes. Je n’ai eu que très peu de retour mais j’ai une fois reçu une carte d’une patiente qui a voulu me remercier car un poids lourd était parti même si cela avait généré des problèmes familiaux. Elle l’avait dit à sa famille et c’est ce qui était important.

Qu’est-ce qui vous a frappé ?

Ce qui m’a frappé c’est la double peine qu’ils subissent :  d’une part ils subissent un inceste mais en plus dans 50% des cas ils sont rejetés par leur famille. La plupart n’ont presque plus de famille. C’est très douloureux. Mais le fait d’en parler a permis de réduire les somatisations. La parole libère. Le principal est d’être aidé et de se faire aider, de vivre avec mais de se construire dessus.

Avez-vous un point à rajouter ?

Oui au sujet des formations des psychologues, il manque une formation sur la spécificité de l’inceste même si certaines facultés en parlent un peu plus ce n’est pas généralisé. Il faudrait plus de théorie sur des faits, et recadrer sur les pathologies types liées à l’inceste, les traitements existants. Le psychologue doit aussi prendre conscience que derrière chaque addiction il y a un autre problème plus profond. Le psychologue doit apprendre à s’entourer d’autres spécialistes car le corps est abîmé et traité l’esprit n’est pas suffisant. Les séquelles sont là, il faut réinvestir ce corps qui a été maltraité autant que l’esprit qui a été annihilé. Les victmes anesthésient leur corps pour survivre. Il faut s’aider par les autres professionnels et savoir passer le relais. Le psychologue doit apprendre quel mot utiliser pour être moins maladroit et adapter son discours selon l’âge de la victime. Il y a une amélioration ces dernières années, de plus en plus de livres sortent, de nombreuses études se développent. Mais c’est insuffisant, cela reste tabou avec toujours des a priori sur le sujet. Pour conclure, tout le monde est touché, il y a besoin de professionnels formés

Merci Marion pour ce témoignage qui souligne bien que l’inceste est sous-estimé dans nos sociétés et que l’on manque de professionnels formés à sa spécificité. Il y a un progrès mais cela reste délicat et de nombreux a priori résistent encore.