Survivante de l'inceste

Témoignage Publié le 06.02.2012

Fotolia_1028170_XSJ'ai été vistime d'inceste durant toute mon enfance par mon père. Après un long chemin parcouru, je crois être devenue un personne  équilibrée bien qu'ayant de nombreux traumatismes au quotidien. Les plaies se referment doucement mais les cicatrices restent. Parce que l'on peut s'en sortir, je voudrais témoigner ... 

J’ai été victime d’inceste par mon père pendant toute mon enfance. Les faits sont mentalement difficiles pour moi à reconstituer car les barrières de la mémoire m’empêchent de remonter assez loin. Je procède toujours par des associations bizarres comme les habits que je pouvais porter, une chemise de nuit blanche avec des roses, puis cela m’aide à dater approximativement les faits.

 

Je crois que cela à commencer vers mes 3 ans jusqu'à mes 16 ans. Je vis avec la culpabilité d’avoir accepter tout cela et porter le poids du secret pendant toutes ces années. Mais tout se passe si insidieusement que l’on ne se rend pas compte, ça commence seulement par un geste et les choses sombrent plus profondément au fur et à mesure. De plus, j’aimais beaucoup mon père, je l’admirais énormément comme toutes les petites filles. Je voulais être aimé par lui mais pas de cette manière.

 

Par ailleurs, il avait une très grande autorité sur ces enfants et j’en avais très peur. Lors de mon dépôt de plainte, j’ai été complètement démunie lorsqu’on me demanda quel chantage il opérait pour me faire taire. Il ne procédait à aucun chantage, je savais que je ne pouvais pas en parler, que c’était notre secret et que c’était mal. Pour cela aussi je m’en suis voulu très longtemps. L’inceste est l’interdit anthropologique premier dans toute société et s’il est si douloureux, c’est parce qu’il est construit socialement comme un délit et que l’on s’enferme donc dans un secret inébranlable qui est nourrit par la peur et la honte.

 

Je crois que c’est le poids du secret qui a été le plus dur pour moi. J’avais l’impression d’être hantée, sale et différente de toutes les autres filles. J’ai encore gardé l’habitude du camouflage même s’il s’amoindrit. J’ai l’impression de porter un masque en permanence et de me cacher comme si je pouvais laisser transparaître une faille dans mon comportement.

 

Pendant toutes ces années, j’ai été dans l’incapacité d’en parler, je n’avais confiance en personne et j’avais beaucoup trop peur pour cela. Je me demandais comment allait continuer à vivre ma famille après cela et je me disais que je faisais moins de casse à porter ce fardeau seule. Puis, après avoir chercher toutes les solutions possibles et inimaginables j’ai écrit une lettre à ma mère puis fugué. Après cette révélation, je pensais que j’allais être délesté et que tout s’arrangerait. Et bien … tout s’est empiré !

 

Mon père est un génie de la manipulation et ma mère lui est totalement soumise. Mon père n’a pas nié les faits mais il a inversé les rôles et fait de moi un coupable. Il m’a accusé de faire explosé la famille et a convaincu ma mère, mon frère et ma sœur de ne plus m’adresser la parole et de ne plus rien dire en ma présence. Je n’étais plus membre de leur « clan » et je n’étais plus digne de confiance. J’ai du continuer à vivre deux ans avec eux dans cet enfer, car sous la pression je ne pouvais pas porter plainte, ni en parler à une assistante sociale. Il disait que j’avais hérité du mauvais sang, que j’étais un être abjecte et que j’étais le diable. Cela semble complètement fou mais c’est pourtant la vérité. A force de me l’entendre dire, je l’ai cru et je suis plus ou moins tombée dans une spirale d’autodestruction. J’ai foutu en l’air un an de ma vie de façon tout à fait consciente. J’éprouvais une colère énorme envers tout le monde, sans frontières, je ne comprenais pas comment la terre pouvait continuer de tourner sachant ce qu’il m’arrivait. J’étais seule pour affronter cela et j’en venais même a détester la personne qui souriait ou riait. J’étais absolument rongée par la haine et la colère. Puis je crois que j’ai rencontré les bonnes personnes, il m’a fallu des années pour en parler et accorder ma confiance. Je me suis éloignée de ma famille et j’ai fini par couper les ponts de façon irréversible. J’en souffre beaucoup car j’ai une autre petite sœur de 6 ans que je ne vois plus. La dernière fois que je l’ai vu, elle devait avoir deux ans.

 

La distance m’a permis d’évoluer et soigner mes plaies. Cependant les cicatrices sont des traces ineffaçables. Je pensais avoir été la seule victime et je protégeais encore mon « clan » auquel je ne faisais plus partie en me taisant. Cependant l’année dernière (decembre 2010), ma cousine âgée de 12 ans de plus que moi m’a révélé que mon père avait à plusieurs reprises tenté d’abuser d’elle lorsqu’elle était plus jeune et qu’elle venait en vacances chez mes parents. J’étais encore bébé à cette époque. Pour moi, ça été le coup de grâce, j’ai compris que mon père était un monstre et que personne n’était plus en sécurité. J’ai pensé à mes deux sœurs qui vivent encore avec eux et j’ai porté plainte. J’ai écrit au procureur de la république, déposé une plainte, des enquêtes ont étés faite dans le calvados et aujourd’hui la procédure est encore en cours. J’attends que le procureur examine le dossier pour établir une mise en instruction et que celui ci passe enfin dans l’autre département.

 

Toutes ces années m’ont permis d’évoluer, je suis passée de la jeune fille instable et à fleur de peau à une jeune femme plus ou moins équilibrée et bien dans sa peau. Cela semble difficile à croire quand le curseur est réglé en bas de la frise mais les choses évoluent, on fait des rencontres et on apprend  à accepter sa différence. J’ai toujours l’impression d’avoir deux vies, celle d’avant engorgé dans le passé et celle d’après tournée vers le présent et le futur. Je ne peux pas te dire que l’on oublie car il ne se passe pas un jour sans que j’y pense et que je me sente encore différente. Mais généralement, j’y pense comme mon histoire mais ce n’est pas douloureux. J’ai appris à prendre énormément de recul avec mon passé et je peux en parler assez librement avec les gens qui me sont très proches. Cependant, parfois je retombe, c’est une sensation très difficile à décrire, c’est un état de mélancolie énorme ou je me sens complètement aliénée et dépossédée. J’ai l’impression de marcher contre le vent pour échapper au puit duquel je suis sorti et que, malgré mes efforts j’y retombe à nouveau. Je retombe dans un été de mélancolie profond, je m’enferme chez moi, je pleure, je broie du noir et je refuse catégoriquement de tendre la main à celui qui me la tend. Je ne sais pas si c’est une seule question de pudeur, je crois que j’ai envie d’affronter mes démons seules. Je suis quelqu’un de très enthousiaste, exaltée et j’ai beaucoup d’humour. Mais ces jours là, je suis méconnaissables, je deviens une ermite pour un temps plus ou moins long. Et puis, ça passe… j’achève mes vieux démons et je reviens à la réalité. J’appelle ça mon coup de blues, c’est un état de déprime qui est peut être incontournable ou je me laisse sombrer. Mais l’important c’est d’en avoir conscience et surtout d’achever ces démons. Tu sais, aujourd’hui je crois que mon histoire m’a rendu plus forte et je suis assez fière d’être différente. J’ai un sentiment d’invincibilité parce que je me dis que le pire est derrière moi et que je n’ai plus grand chose à craindre. Je suis sortie de l’enfer et ça été le plus dur, maintenant tout peut être plus doux.

 

Nous sommes des êtres singuliers et uniques, néanmoins ce que nous ressentons n’est pas fondamentalement différent. Nous gardons des séquelles et des traumatismes, c’est certain … Cependant il faut réussir à potentialiser nos faiblesses pour en faire une force, inverser les charges négatives en positives. Je suis atteinte du syndrome du survivant de l’inceste, c’est à dire que je garde certains traumatismes qui ne s’effaceront pas facilement : j’ai peur de dormir, je n’ai confiance en personne, je minimise ce qui m’est arrivé car c’est plus facile pour moi de vivre comme cela, je ne supporte pas l’eau sur mon visage quand je prends ma douche ou si je suis à la piscine, je ne supporte pas non plus qu’on me touche le visage, je teste mes limites constamment pour me sentir vivante, j’ai l’impression d’être invincible tout en pensant que le bonheur ne dure pas, je suis perfectionniste … Mais cela ne m’empêche pas d’être une personne tout à fait équilibrée, ou presque … J J’ai la chance de me sentir bien dans ma peau, jolie, j’ai assez confiance en moi, je vois la vie comme un terrain de jeu et je trouve même la vie assez sympa !