Inceste « consenti » : le gouvernement s’obstine

Projet Publié le 29.03.2021
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Ce jeudi 25 mars, le Sénat a adopté en deuxième lecture la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Un texte qui comporte des avancées, mais aussi de graves insuffisances quant à la réalité de l’inceste. On vous explique pourquoi.

Qu’apporte cette loi ?

La proposition de loi déposée par la sénatrice centriste Annick Billon adoptée en deuxième lecture au Sénat ce jeudi propose notamment de définir l’inceste comme un crime spécifique, ce que nous demandons depuis vingt ans. L’inceste est un crime de lien, différent du viol, qui implique toute la famille, et cela doit être reconnu dans la loi. Depuis 2016, la notion d’inceste apparaît dans la loi comme une surqualification du viol, de l’agression et de l’atteinte sexuelle (art 222-31-1 du code pénal) grâce à l’action de Face à l’inceste. Cependant, une grande partie des viols incestueux jugés sont minimisés en « agression sexuelle » ou « atteinte sexuelle » qui sont des délits punis de 7 à 10 ans d’emprisonnement maximum, et non jugés aux Assises en tant que crimes passibles de 20 ans de prison.

Par ailleurs, la notion de viol qui n’inclut aujourd’hui que l’acte de pénétration va être étendue à l’acte « bucco-génital » pour toutes les victimes de violences sexuelles, y compris pour l’inceste donc. Cela fait suite à un arrêt de la Cour de Cassation du 14 octobre 2020 qui nous avait indignés.

La loi créée un principe de non-consentement, jusqu’à l’âge de 15 ans pour les victimes mineures de violences sexuelles extérieures à la famille, et jusqu’à l’âge de 18 ans pour les victimes d’inceste (mais uniquement pour les ascendants et les personnes « ayant autorité » ! voir plus bas). Jusqu’à maintenant, la victime devait prouver son non-consentement en invoquant soit « une menace », « une contrainte » ou bien un effet de « surprise » de la part de l’auteur…

Une clause d’écart d’âge…

À la demande insistante du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, une clause spécifique, dite « Roméo et Juliette », prévoit un écart d’âge d’au moins 5 ans entre l’auteur et la victime pour « ne pas nuire aux amours adolescentes ». Ainsi, si un jeune adulte de 18 ans a une relation sexuelle avec une enfant de 13 ans et que celle-ci l’accuse de viol, cette dernière devra prouver son absence de consentement.

Ce ne sont pas seulement les associations de protection de l’enfance, mais aussi le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) qui s’est élevé contre « l’asymétrie des relations entre l’adulte et l’enfant » :

En revanche, la condition d’un écart d’âge d’au moins 5 ans, prévue dans la proposition de loi ne semble pas suffisamment prendre en compte l’asymétrie des relations entre l’adulte et l’enfant. Le HCE recommande donc que l’écart d’âge soit a minima ramené de 5 à 4 ans, dans la mesure où aucune relation symétrique n’est envisageable entre un.e jeune de 18 ans et un.e enfant de 13 ans. …

qui s’applique même dans certain cas d’inceste !

La présomption de non-consentement s’applique en dessous de 18 ans, si un père, une mère ou un oncle chez lequel la victime habite opère un viol. En revanche, la clause d’écart d’âge chère au ministre de la Justice s’applique dans les cas d’inceste par des membres de la famille n’ayant pas « autorité de droit ou de fait. » Donc, si le viol est commis par un frère, une sœur ou un beau-père qui arrive à prouver qu’il n’a pas de fait autorité sur la victime, le seuil d’âge descend à 15 ans.

Et s’il y a moins de 5 ans d’écart d’âge entre l’agresseur et l’enfant victime, le seuil d’âge descend à 13 ans. Et donc pas de condamnation si l’enfant est jugé « consentant ».

L’ajout de cette condition déconstruit la définition de l’inceste qui va enfin être prise en compte dans le droit. Le Haut Conseil à l’Égalité recommande la suppression de cette condition d’autorité dans un communiqué du 25 mars :

De même le HCE s’inquiète de la condition d’autorité de droit ou de fait concernant des personnes que la nature des relations et positions dans la famille placent de facto dans une situation d’autorité vis-à-vis de l’enfant. Le HCE recommande ainsi que la condition d’autorité de droit ou de fait soit supprimée.

Les sénatrices Marie-Pierre de la Gontrie et Laurence Rossignol ont défendu des amendements pour supprimer cette disposition, mais en vain puisque les amendements concernés ont été rejetés. Afin de protester symboliquement contre ces insuffisances, le groupe PS du sénat s’est abstenu de voter le texte.

PPL Protéger les mineurs des crimes  et délits sexuels et de l'inceste

Le garde des Sceaux, premier défenseur de « l’inceste consenti »

Éric Dupond-Moretti se pose en chantre de la liberté sexuelle des enfants dès l’âge de 13 ans et annonce dans l’hémicycle :

« Qu'on le veuille ou non, nos ados ont une sexualité, c'est la vie, c'est leur vie. Ne devenons pas les censeurs de leur vie sentimentale... »

Le ministre va encore plus loin puisqu’il met l’inceste dans le même panier.

« Nous ne pouvons pas, en dehors des ascendants, automatiquement et sans individualisation, criminaliser la relation sexuelle en raison du lien de sang. Dans ces situations, il nous faut faire confiance au discernement et à l'appréciation des situations de nos procureurs et de nos juges. (...) Vous connaissez leur engagement. Ils sont confrontés tous les jours à l'inaudible, à l'indicible. Ils savent distinguer ce qui relève de la loi pénale ».

Pour M. Dupond-Moretti, il s’agit d’une loi historique. « Il y a un avant et un après cette loi », lançait-il fièrement jeudi. Une deuxième lecture du texte aura lieu le 15 avril à l’Assemblée nationale, un mois exactement après son passage en première lecture au Palais Bourbon.

Pour nous, cette déconstruction de l’inceste et ces discours sur la liberté sexuelle des enfants relèvent d’une forme de déni. Il n’y a pas lieu de s’auto-congratuler pour une loi qui autorise l’inceste « consenti » dès l’âge de 13 ans. À cause des amendements Dupond-Moretti, cette loi est une occasion ratée de créer un crime d’inceste qui pose un interdit absolu et inconditionnel avec un seuil d’âge à 18 ans pour toutes les victimes.

Des problèmes de constitutionnalité ?

Les amendements du gouvernement n’affaiblissent pas que la protection des enfants contre l’inceste et la pédocriminalité. Ils compromettent aussi la compatibilité du texte de loi avec les principes constitutionnels en introduisant de possibles ruptures d’égalité. L’empilement des dispositifs - et le maintien du délit d’atteinte sexuelle uniquement pour les cas où il y a moins de 5 ans d’écart d’âge - compromet le caractère opérationnel de cette loi, c’est-à-dire la possibilité de la mettre en œuvre sur le terrain. L’inceste sur un mineur sera réprimé par 4 articles différents selon les cas :

  • Article 222-23-2 si l’auteur est un ascendant ou une personne de la famille « ayant autorité de droit ou de fait »
  • Article 222-23-1 si l’auteur n’est pas un ascendant et n’a pas autorité (oncle ou grand frère par exemple), et si l’enfant a moins de 15 ans… 
  • … Sauf s’il y a moins de 5 ans d’écart d’âge entre l’agresseur et l’enfant victime. Dans ce cas, c'est l’article 222-23 du viol « classique » qui peut s’appliquer…
  • … Sauf si l’enfant est estimé consentant. Et dans ce cas on se rabat sur l’article 227-25, délit d’atteinte sexuelle sur mineur.

Inceste par - Seuil d'âge - Articles

On est vraiment très loin de « l’interdit simple et clair » que le ministre se vantait de pouvoir mettre en place ! Si cette usine à gaz n’est pas retoquée par le conseil constitutionnel, elle va donner des cheveux blancs aux magistrats chargés de l’appliquer.

Le dispositif de prescription « glissante », qui permettrait en pratique de traiter à égalité toutes les victimes d’un agresseur en série dans de nombreux cas, a été également pointé du doigt par les spécialistes comme susceptible de censure par le Conseil Constitutionnel.

Que faire ?

Nous continuerons à nous battre pour restaurer la définition de l’inceste et protéger tous les enfants. Il est encore temps pour les députés de rectifier le tir par voie d’amendement en deuxième lecture, mais le gouvernement et la majorité ont déjà commencé une intense campagne de dénigrement à l’égard des personnes et institutions qui critiquent ce texte en l’état.

Pourtant, les inquiétudes du Haut Conseil à l’Égalité, celles des constitutionnalistes, et celles des 39 associations réunies dans le Collectif pour l’Enfance, doivent être entendues. La protection des enfants mérite mieux que ces arguments fallacieux sur les « amours adolescentes » qui ne sont nullement menacées par une loi qui cherche à mieux protéger les enfants face aux actes commis par des adultes. Quoi qu’en dise le Garde des Sceaux, il n’y a pas d’inceste heureux. Il n’y a pas d’inceste consenti.