Sexualité des survivants de l'inceste : quand les barrières n'existent plus

Dossier Publié le 03.06.2017

Une étude scientifique de 2001 a mis en évidence le lien entre les traumatisme infantiles (violences sexuelles comme l'inceste ou la pédo-criminalité, et autres violences mesurées par le test ACE) et comportements sexuels à risque. Avec toutes leurs conséquences négatives pour la santé physique et mentale à l'âge adulte, comme les grossesses non désirées ou les maladies sexuellement transmissibles.

Cette étude publiée en 2001 par Susan D. Hillis, Robert F. Anda, Vincent J. Felitti et Polly A. Marchbanks, est aujourd'hui rendue accessible dans une traduction française publiée de Face à l'inceste (suivre ce lien pour télécharger le PDF). Que dit-elle en substance: 

Pour chaque type d’ACE, on a pu corréler un risque accru de commencer une activité sexuelle avant d’avoir atteint 16 ans (risque multiplié par 1,6 et jusqu’à 2,6), une plus grande occurrence du sentiment de vulnérabilité par rapport au SIDA (probabilité de 1,5 à 2,6 fois plus élevée) et le multi-partenariat, évalué à 30 partenaires ou plus (risques de 1,6 à 3,8 fois supérieurs).

(...)

On peut émettre l’hypothèse que chez les personnes victimes de traumatismes dans l’enfance, les comportements sexuels à risque représentent leurs tentatives pour établir des relations d’intimité. Ayant grandi au sein de familles qui n’ont pu leur assurer la protection nécessaire, ces personnes ne sont guère préparées à préserver leur intégrité par la suite et elles pourront avoir tendance à sous-estimer les risques qu’elles prennent en essayant de nouer des relations intimes avec d’autres. Si tel est le cas, la prise en considération de ces problèmes constitue un enjeu important de santé publique.

Pourquoi c'est important

Les comportements sexuels à risque ne sont qu'une des conséquences à l'âge adulte de traumatismes infantiles comme l'inceste et autres violences. Obésité, dépression, anorexie, toxicomanie, phobies, la liste est longue.. Comme le remarquent les auteurs de cet article, les femmes sont particulièrement vulnérables à ces risques car elles subissent les effets pour des grossesses non désirées notamment, qui n'affectent pas les hommes. Cette étude de 2001 s'est donc concentrée à juste titre sur les femmes à partir d'une cohorte de 5000 personnes. Cela ne veut pas dire que les hommes survivants de l'inceste ne subissent aucune conséquence y compris par rapport à leur sexualité, mais il existe une vraie asymétrie entre hommes et femmes dans ce domaine.

Ces résultats sont importants en termes de santé publique. Cela veut dire que les médecins et professionnels de la protection de l'enfance, devant une adolescente de 16 ans qui enchaîne les relations sexuelles, devraient d'abord se demander: "Qu'est-ce qu'elle a subi pendant l'enfance pour en arriver là ? Comment l'aider" plutôt que lui faire la morale ou considérer qu'elle n'a "que ce qu'elle mérite" si elle attrape le SIDA ou bien si elle est déjà à son deuxième avortement.

Les comportements sexuels à risque sont une sorte de chaînon manquant dans la causalité entre les ACE et les risques qui étaient déjà connus (grossesses non désirées, SIDA). Les auteurs de cette étude se concentrent sur les statistiques qui sont très claires (une multiplication du risque par 7, c'est très significatif, aucun biais dans la méthodologie, aucun bruit statistique ne saurait l'expliquer). N'ayant pas de données cliniques pour compléter leur étude, ils n'explorent pas les mécanismes psychologiques qui peuvent expliquer de tels comportements, se contentant d'exprimer une hypothèse sur la recherche d'intimité. Intuitivement, on peut également supposer que les barrières morales et mentales qui protègent l'intimité de chacun sont sérieusement abîmées chez les enfants battus, violés ou maltraités. Lorsqu'on a été traité sans respect dans l'enfance, on peut en venir à considérer comme normal le fait que les autres utilisent votre corps et profitent de votre faiblesse.

Les témoignages reçus par écrit par Face à l'inceste , ou par oral lors des groupes de parole, vont dans ce sens: tant que l'inceste n'a pas été nommé et que les soins et le processus de reconstruction psychologique n'ont pas commencé, il est très difficile pour les survivants de l'inceste d'avoir une sexualité épanouie et satisfaisante. Beaucoup de survivant(e)s de l'inceste "choisissent" inconsciemment un conjoint maltraitant, multiplient les partenaires, omettent de se protéger, ne savent pas dire "non".

La rubrique "fait divers" vient aussi le confirmer. Ainsi ce cette affaire de viol collectif dans laquelle le parquet de Nanterre a récemment fait appel après une relaxe générale de tous les prévenus en première instance. La victime de ces viols collectifs, âgée de 14 ans au moment des faits, est également une victime d'inceste qui a été violée à 12 ans par son père. Agressée à l'intérieur de sa famille, insuffisamment protégée par la société et les pouvoirs publics, cette jeune fille a donc vu le traumatisme du viol se reproduire et se multiplier. Ce ne sont pas moins de 8 hommes (dont certains mineurs) qui l'ont violé au domicile de ses parents pendant 3 heures. En déclarant que c'était une "fille facile" et qu'elle était consentante. Et le tribunal leur a donné raison, ce qui montre une grave méconnaissance, un manque de formation et d'information sur la réalité des traumatismes infantiles et de leurs conséquences. Le fait que la victime soit trop affaiblie ou effrayée pour protester n'indique pas le consentement. Quelle jeune fille de 14 ans, ayant grandi dans une famille "normale" c'est à dire une famille qui l'aime, la protège et la soutient, accepterait de servir de jouet sexuel à 8 hommes pendant 3 heures ?

Comment ça pourrait changer

Pour nommer une maladie et comprendre son fonctionnement est déjà un premier pas vers la guérison. C'est vrai au niveau individuel comme au niveau collectif. Les témoignages ci-dessous montrent qu'individuellement, un chemin vers la guérison et la réparation est toujours possible, même lorsqu'on a subi les traumatismes les plus graves et les plus grandes violences qui soient: 

Collectivement, il reste énormément de travail pour les pouvoirs publics comme pour la société toute entière.

  • - Le jour où les juges et experts judiciaires seront formés sur les traumatismes infantiles et leurs conséquences
  • - Le jour où tous les médecins et pédiatres auront des exemplaires du questionnaire ACE dans leur cabinet et s'en serviront quand ils soupçonnent des maltraitances ou des violences
  • - Le jour où les procédures et méthodes qui ont fait leurs preuves pour recueillir la parole des enfants victimes, comme celles de Mireille CYR se généraliseront dans les commissariats et gendarmeries
  • - Le jour où le CNRS financera des études sur les ACE en France (actuellement les associations comme Face à l'inceste ont 10 ans d'avance dans la veille scientifique sur l'inceste par rapport le ministère de la Santé, ce qui est une anomalie. Comparez avec les moyens qui sont mis en oeuvre pour lutter contre le SIDA, le cancer, le tabac, ou les maladies cardio-vasculaires).

Ce jour-là la prévention et la prise en charge des enfants poly-traumatisés progressera vraiment.

Télécharger l'article: Traumatismes pendant l’enfance et comportements sexuels à risque chez les femmes - Une étude de cohorte rétrospective