Le Sénat a voté en première lecture le 21 janvier une proposition de loi portée par Annick Billon « visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels ». Ce projet de loi créerait un seuil d’âge à 13 ans seulement en faisant l’impasse sur l’inceste.
De quoi s’agit-il ?
Le Code pénal comporte actuellement deux manières de réprimer les violences sexuelles sur mineur :
- S’il y a « violence, surprise, contrainte ou menace », les faits peuvent être qualifiés de viol ou d’agression sexuelle
- Sinon (lorsque l’enfant a moins de 15 ans), les faits sont qualifiés d’ « atteinte sexuelle sur mineur »
La structure de la loi encourage donc les agresseurs à plaider le « consentement » de l’enfant afin de requalifier le viol en « atteinte sexuelle », ce qui minimise la peine encourue.
Depuis longtemps nous demandons (avec beaucoup d’autres associations) une loi plus protectrice qui mette fin à ces débats judiciaires sur le « consentement » de l’enfant victime. Réunies dans le Collectif pour l’Enfance, 33 associations dont la nôtre demandent que la recherche du consentement soit abolie avec un double seuil d’âge :
- 18 ans dans le cas de l’inceste
- 15 ans dans les autres cas
Les spécialistes du droit pénal s’accordent pour dire que le meilleur moyen de parvenir à cet objectif est de créer des infractions spécifiques (distinctes du viol et de l’agression sexuelle) pour réprimer l’inceste et la pédocriminalité. La rédaction de ces infractions ne ferait donc pas intervenir le critère de « violence, surprise, contrainte ou menace ». La députée Alexandra Louis, dans son rapport d’évaluation de la « Loi Schiapp » publié en décembre 2020, préconise elle aussi cette approche.
Que contient ce projet de loi ?
Le projet de loi déposé par la sénatrice Annick Billon en novembre 2020 a été examiné en commission des lois puis en séance publique. (voir le dossier législatif). Ce projet de loi contient les mesures suivantes :
- Création d’une infraction criminelle autonome de « crime sexuel sur mineur » punie de 20 ans de prison pour réprimer les actes de pénétration sexuelle sur les enfants de moins de 13 ans.
- Élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux (cela fait suite à l’arrêt controversé de la Cour de Cassation dont nous avions parlé)
- Alourdissement des peines prévues pour l’atteinte sexuelle incestueuse à 10 ans de prison
- Ajout d’une clause sur la « maturité sexuelle » des enfants de 13-14 ans qui permettrait de prouver la « contrainte » dans les cas de viol et d’agression sexuelle.
- Mécanisme de « prescription glissante » qui permettrait de réinitialiser la Cprescription pénale si l’agresseur fait d’autres victimes.
- Allongement du délai de prescription du délit de non-dénonciation de crimes sexuels sur mineurs (article 434-1)
- Dispositions relatives à au fichier FIJAIS et à l’interdiction d’exercer un travail en contact avec les mineurs.
13 ans, un seuil qui ne passe pas
Le seuil d’âge de consentement à 13 ans a été unanimement critiqué. Même Marlène Schiappa a déploré un « flou juridique » qui pourrait fragiliser les 13-14 ans, si cette proposition de loi était définitivement adoptée.
La notion de « maturité sexuelle » pour les 13-14 ans ouvrivait une brèche dans la protection des enfants, et serait une aubaine pour les avocats de la défense : dans tous les dossiers de pédocriminalité les avocats des agresseurs plaideront la « précocité sexuelle » de l’enfant victime, afin de requalifier le viol en « atteinte sexuelle ». Le procès de l’agresseur deviendra le procès de l’enfant victime, et c’est précisément cette inversion des rôles que nous voulons éviter.
Rappelons que selon le sondage Harris que nous avions commandé avec d’autres associations en 2018, 95% des Français demandent à ce que le seuil d’âge ne soit pas fixé en-dessous de 15 ans.
La question de l’inceste reste ignorée
Un amendement visant à remonter le seuil d’âge à 18 ans dans le cas de l’inceste a été proposé mais rejeté car sa rédaction n’était pas assez précise.
Par conséquent, avec cette première version de la proposition de loi, un enfant de 13 a ns et 1 jour pourrait être considéré comme « consentant » à l’inceste qui serait qualifié d’ « atteinte sexuelle incestueuse » (délit) et non de « viol incestueux » (crime).
Un projet de loi inabouti et insuffisant
Depuis 20 ans nous le répétons : afin de vraiment protéger tous les enfants jusqu’à leur majorité, il faut créer un crime d’inceste spécifique, distinct du viol. La définition de ce crime n’inclura aucun critère de « violence, menace, surprise ou contrainte ». Ainsi, plus aucun débat sur le « consentement » d’un enfant à l’inceste ne sera possible dans nos tribunaux.
Si l’élargissement de la définition du viol est une vraie avancée, ce projet de loi peine à convaincre sur les questions du consentement et de l’inceste. Les Français attendent des actes forts, pas une réforme en demi-teinte qui demandera de légiférer à nouveau dans quelques années.
Et maintenant ?
Ce vote n’est qu’une première étape dans un processus assez long qui comporte 2 aller-retours entre le Sénat et l’Assemblée, ainsi que des « commissions mixtes paritaires ».
La députée Isabelle Santiago (parti socialiste) a de son côté déposé une autre Proposition de Projet de Loi (PPL numéro 3721) qui sera examinée en février. Cette proposition vise à créer un double seuil d’âge à 18 ans dans le cas de l’inceste, 15 ans dans les autres cas.
La députée Alexandra Louis (LREM) a déclaré qu’elle travaillait à une rédaction alternative pour atteindre le même objectif. Dans son rapport d’évaluation de la loi Schiappa du 3 août 2018, qu’elle a publié en décembre 2020, elle se montre favorable à la création d’une infraction autonome avec un seuil d’âge à 15 ans, mais elle repousse la création d’un crime spécifique d’inceste.
Enfin, suite aux annonces du Président de la République ce samedi 23 janvier, le ministre de la Justice a engagé des consultations avec les associations et les professionnels du droit afin de proposer un texte en conseil des ministres dans les semaines qui viennent. Lors de ce premier débat au Sénat, Mr Dupond-Moretti a souligné la complexité technique de la rédaction. Le droit pénal étant « d’interprétation stricte », la rédaction doit éviter toute ambiguïté ou approximation et respecter les principes fondamentaux comme la présomption d’innocence.
Nous avons donc trois, voire quatre propositions de rédaction sur la table. Nous espérons que ces multiples propositions permettront finalement de converger vers une réforme complète et robuste qui protégera mieux les enfants. Affaire à suivre !