L'affaire Flavie Flament n'est pas seulement un drame médiatisé aux multiples rebondissements : c'est aussi une histoire qui peut nous apprendre beaucoup au sujet des violences sexuelles sur mineurs, et une histoire porteuse d'espoir pour les millions de victimes.
Nous avons appris hier le décès de l'agresseur présumé de l'animatrice Flavie Flament. Celle-ci avait dénoncé dans un livre La Consolation, paru cette année, les agressions sexuelles dont elle fut la victime à l'âge de 13 ans. Elle ne donnait pas le nom de son agresseur, mais les journalistes n'ont pas tardé à donner le nom de David Hamilton, célèbre photographe.
Depuis, trois autres femmes ont déclaré aux journalistes (notamment à L'Obs) avoir été violées par le même homme alors qu'elles étaient mineures. De plus on a appris qu'une plainte avait été déposé contre David Hamilton en 1997 et classée sans suite. Plus tard, dans une vidéo du 18 novembre, Flavie Flament a confirmé le nom de David Hamilton. Comme nous l'avons souligné, c'est très courageux de sa part, car elle prenait le risque d'être accusée en diffamation.
On ne peut qu'être frappé par les nombreuses similitudes entre l'histoire de Flavie Flament et les milliers de témoignages recueillis et publiés par Face à l'inceste . Citons :
- Le nombre d'années nécessaires à la victime pour se reconstruire et trouver la force de parler. Dans le cas de Flavie Flament, près de 30 ans après les faits.
- Le manque de soutien de la famille. Le frère et la mère de Flavie Flament ont publiquement pris position dans les media et laissé entendre qu'elle était consentante ou bien qu'elle aurait tout inventé. Loin de la soutenir, ils l'ont accablée. C'est malheureusement très fréquent.
- L'expiration du délai de prescription. Celui-ci, fixé à 20 ans, court à partir de la majorité lorsque la victime est mineure. Ainsi, Flavie Flament, depuis qu'elle a dépassé 38 ans, ne peut plus poursuivre l'agresseur. Cela prive la victime d'une reconnaissance des faits par la justice, mais cela prive aussi la personne accusée de la possibilité de se défendre sur le fond.
- Le risque asymétrique d'un procès en diffamation. Conséquence indirecte de la prescription, la victime d'un pédocriminel peut être condamnée si elle donne publiquement le nom de son agresseur, qui lui-même ne craint aucune poursuite judiciaire.
Flavie Flament a déclaré à l'AFP:
"Je viens d'apprendre le décès de David Hamilton, l'homme qui m'a violée quand j'avais 13 ans. L'homme qui a violé de nombreuses petites filles, dont certaines se sont manifestées avec courage et émotion ces dernières semaines. C'est à elles que je pense. À cette injustice que nous étions en train de combattre ensemble. Par sa lâcheté, il nous condamne à nouveau au silence et à l'incapacité de le voir condamné. L'horreur de cette annonce ne saura jamais effacer celles de nos nuits blanches."
De son côté, le journal Le Monde cite raconte un article "David Hamilton emporte ses secrets dans la tombe" publié aujourd'hui:
C’était en 2007. Nous avions mis deux heures avant de lui poser la question : « Avez-vous eu des relations sexuelles avec vos modèles de 13 ou 14 ans ? » Ses yeux ont changé, le visage s’est fermé, et il nous a mis dehors de son appartement parisien, le temps de lâcher : « On dit que ma relation aux modèles est dégueulasse. On ne peut pas plaire à tout le monde. » Il n’a pas répondu non.
Mais à cette époque, comme ce fut le cas pendant des dizaines d’années, cette confession était passée comme si de rien n’était.
Pourrait-on y voir une ébauche d'auto-critique du journal qui a publié l'infâme pétition pro-pédophile "Les enfants aussi ont droit au plaisir" le 27 janvier 1977 ? (parmi les signataires : Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Jack Lang, Bernard Kouchner...).
Ni la culpabilité de David Hamilton ni son innocence n'ont pas pu être prouvées par la justice, et le rôle de Face à l'inceste n'est pas de condamner les gens à distance et par contumace. Face à l'inceste veut aider tous les survivants à sortir du silence, et à retrouver le goût de la vie. C'est pourquoi nous saluons la décision de la ministre Laurence Rossignol d'avoir confié à Flavie Flament dès le 22 novembre dernier une mission sur les délais de prescription. La ministre de la famille a annoncé sur RTL :
"J’ai décidé de proposer à Flavie Flament - et elle a accepté - de conduire une mission de consensus - elle sera accompagnée par un pénaliste -, pour justement mettre en présence les positions, comprendre et faire avancer un consensus sur l’allongement ou pas de la durée de prescription. Elle, c’est une victime mais c’est une experte de ce sujet également." Face à l'inceste dont la devise est : "Libres - Militants - Experts" sera associée à cette mission, avec un double but :- - Convaincre les parlementaires de voter l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur des mineurs
- - Obtenir du gouvernement un Plan de lutte contre les violences faites au mineurs, d'une ampleur et d'une ambition au moins égales à celles du Plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce plan inceste gouvernemental comprendrait de nombreuses mesures éducatives et de prévention, des mesures pour mieux accompagner et soigner les victimes, et un volet judiciaire.