Les députés ont adopté hier soir, dans la douleur et de justesse, l’article 2 de la loi sur les violences sexistes et sexuelle. Tous les groupes parlementaires sauf LREM ont voté contre.
Nous avions dénoncé dans un communiqué du 22 mars une « machine à correctionnaliser », qui vise, sans l’avouer ouvertement, à déqualifier un grand nombre de plaintes pour viol sur mineur en délit d’atteinte sexuelle sur mineur.
Nous ne sommes pas les seuls ! Le Haut Conseil à l’Égalité déclare dans un avis du 14 mai : « Le texte augmente le risque de déqualification de viols en atteintes sexuelles, certes condamnées plus fermement, mais ne reconnaissant pas le crime qu’est un viol. » L’avocat M. Eolas déclare le même jour dans une interview pour l’Obs le 14 mai : « clairement, l’article 2 a d’abord été pensé par le gouvernement pour désengorger les cours d’assises. » De nombreux députés ont dénoncé ce texte. Une pétition a recueilli 100.000 signataires en 24h. L’OMS recommande un traitement juridique différent des violences sexuelles commises sur des enfants. La Convention de Lanzarote, ratifiée en 2010 par la France, impose l’instauration d’un seuil d’âge en-dessous duquel aucun acte sexuel commis sur un enfant n’est permis.
Malgré ces avis convergents pour demander qu’au minimum tout acte de pénétration d’un enfant de moins de 13 ans soit un crime, le gouvernement et la commission des lois ont maintenu leur version de l’article 2et le délit d’ « atteinte sexuelle avec pénétration ».
Manque de moyens pour la justice
L’avocat Maître Eolas déplore « Le système juridique français n’a pas les moyens qu’il lui faudrait. Il bricole donc au mieux. Le problème de l’article 2 n’est pas selon moi la notion "d’atteinte sexuelle avec pénétration" ou sans pénétration, mais plus celui de la correctionnalisation, qui n’est pas nouveau. » Quels que soit les textes votés, sans moyens humains et budgétaires suffisants, ils ne seront pas appliqués ! Nous croyons en la Justice et nous demandons en tout premier lieu aux élus de se mobiliser pour lui donner plus de moyens.
Attaques contre nos militants
Certains députés et ministres ont lancés des attaques sans précédent contre les militants qui critiquaient ce texte. Premièrement, nous n’aurions pas bien lu. Deuxièmement, nous n’aurions pas compris les subtilités du droit pénal et de l’inconstitutionnalité. Troisièmement, nous diffuserions des « fake news » et de la « désinformation ». Quatrièmement, nous serions « instrumentalisés » à des fins politiques.
Une mise au point s’impose. Créée en 2000, l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste refuse toute subvention pour préserver une indépendance absolue. Elle travaille depuis 2018 avec les gouvernements et députés de tout bord sur un sujet qui devrait dépasser les clivages politiques. Les associations de victimes sont dans leur rôle quand elles dénoncent un texte insuffisant voire un risque de régression dans la répression des violences sexuelles. Quoi de plus naturel, quoi de plus nécessaire au débat démocratique ? En revanche ces attaques sont indignes d’un élu ou d’un membre du gouvernement.
En 18 ans nous avons souvent été ignorés ou méprisés mais jamais attaqués de cette façon. Les survivants de l’inceste sont dans 84% des cas accusés d’être des « menteurs » par leur propre famille. Que des députés ou ministres nous accusent aujourd’hui de mentir, c’est scandaleux ! C’est répondre à des critiques sur un texte (un projet de loi) par des attaques ad hominem.
Aucun consentement à l'inceste
Ce que nous demandons est simple : aucun enfant, de 0 à 18 ans, ne doit être considéré par la justice comme « consentant » à l’inceste.
L’inceste est toujours commis par tromperie, manipulation, abus de confiance ou d’autorité. Il n’existe pas d’inceste heureux et consenti. Lorsqu’un homme de 45 ans oblige sa belle-fille à lui faire une fellation dans la cuisine, qu’elle ait 8 ans, 12 ans, 15 ans ou 17 ans, il commet un crime et doit être jugé pour ce crime, sans que personne ne demande à la victime : « tu étais d’accord ou pas ? » Nous citons cet exemple car le 22 novembre 2017 le Parisien a fait état d’une affaire de ce type à Juvisy-sur-Orge. La victime avait 12 ans. Elle a été jugée « consentante » par la justice qui a donc transformé le crime de viol incestueux en délit d’atteinte sexuelle sur mineure. Verdict : 2 ans avec sursis. C’est insupportable ! Les Français ne veulent plus de cette justice-là.
Il est tout à fait possible d’inscrire ce principe simple (l’inceste est un crime) dans notre droit en respectant les principes du droit pénal et la constitution. D’autres pays l’ont fait comme la Suisse ou le Canada. Ce qui manque c’est la volonté politique !
L'inceste tue ! Un fléau de santé publique
L’inceste n’est pas une question de mœurs ou de morale mais un problème de santé publique. L’inceste tue ! La moitié des survivants de l’inceste ont commis une tentative de suicide. La science a montré (études ACE – Adverse Childhood Experiences) que les traumatismes infantiles comme l’inceste multiplient les risques de connaître maladies chroniques, addictions, chômage, violences sexuelles, conduites à risque, dépression ou encore suicide à l’âge adulte. Il est temps de sortir collectivement du déni, de mettre fin au tabou de l’inceste et d’affronter la réalité. La réalité c’est que 62% des violences sexuelles sont commises sur des mineurs (ministère de la justice, Infostat n°160). Et que 75% des violences sexuelles sur mineurs sont incestueuses (SNATED 2014). Les pédocriminels sévissent en tout premier lieu dans la sphère familiale.
La France doit se doter d’un véritable Plan d’action pour traiter ce fléau de santé publique dont le nombre de victimes est évalué à 4 millions d’après un sondage Harris Interactive- Face à l'inceste de 2015. Nous appelons donc Mme Belloubet, ministre de la Justice, et Mme Agnès Buzin, ministre de la Santé à se mettre au travail et à donner le signal d’une véritable mobilisation nationale pour mieux protéger nos enfants.