Des souvenirs pénibles

Témoignage Publié le 08.04.2016

Des souvenirs pénibles

Hier j'ai dessiné mon histoire, que j'ai appelé « Dans la chambre des garçons », à savoir : le viol incestueux par mon frère ainé.

Après quoi, j'ai rédigé un texte complémentaire à la troisième personne. C'est tout ce que j'ai pu faire, mais je comprends que cette première étape m'a permis de passer à la suivante, c'est à dire le texte ci dessous. C'est comme ça que j'ai pu raconter pour la première fois calmement, sans pleurer, cette histoire à la première personne, allant chercher des mots qui parfois m'ont étonné par leur justesse, comme par exemple « empaler». Curieusement ce dessin de rien du tout, cette représentation simple et sincère, m'a permis d'accéder aux mots pour décrire les faits mais aussi les sensations et les émotions qui ont été les miennes ce jour là et si longtemps et si profondément enfouis dans un creux ombrageux et honteux de ma mémoire.

J'ai dû oublier beaucoup de détails pour pouvoir grandir, ainsi mes souvenirs sont parfois flous et lointains. Quelle était la saison ? Y avait-il quelqu'un dans la maison ? Qu'ai je dit ?… Je pense que tout cela n'a pas vraiment d'importance.

Voici.

J'avais entre 6 et 8 ans et mon grand frère 6 ans de plus que moi, donc entre 12 ou 14 ans. Je l'adorais. C'était l'aîné, et entre nous 2, il y avait une sœur et un autre frère dont la jalousie consolidait notre complicité. Ce jour là, je ne sais comment, je suis entrée dans la chambre des garçons, ni comment nous en sommes arrivés à ce jeu « des chatouilles ».

Je suppose qu'il avait son idée en tête, il m'a manipulée pour arriver à ses fins et c'est par les chatouilles qu'il a commencé à prendre possession de mon corps. Cela me faisait rire et j'aimais bien que l'on s'occupe de moi, comme ce n'était pas si souvent le cas. Là, j'étais à la fête et je me suis laissée aller en toute confiance. D'ailleurs comment résister au plaisir de rire et d'être bien ?

Donc de chatouilles en chatouilles, j'étais surexcitée comme peut l'être une enfant de 6 ou 8 ans, quand soudain j'ai senti les mains de mon grand frère qui descendaient vers le bas de mon corps. Il essayait d'enlever ma culotte. Ce fut un premier signal d'alarme que quelque chose n'allait pas, mais j'étais avec mon grand frère que j'adorais et puis, et puis... et puis très vite, les chatouilles ont repris et avec elles, le rire que j'aimais tant.

Mais l'insistance de ses mains qui essayaient à nouveau d'enlever ma culotte, m'a inquiétée, on aurait dit que ce n'est plus le même jeu... c'était bizarre et ça m'a mis mal à l'aise. Alors, malgré la surexcitation due aux chatouilles et le rire devenu quasiment mécanique, j'ai écouté ce malaise et je me suis débattue. J'ai voulu me soustraire à ses mains et j'ai envisagé de partir en glissant de l'autre coté du lit, le coté qui était vers la sortie de la chambre, vers cette porte qui donnait sur la chambre de mes parents puis vers le séjour.

Mais lui avait 6 ans de plus, il était plus fort et avait une idée derrière la tête, un désir à assouvir. Quand il a compris que j'allais lui échapper, il s'est dépêché de faire le tour du lit, vite, très vite pour me barrer la route. Et tandis que tout en riant encore, je me laissais glisser du lit pour partir il a enfoncé brutalement et profondément ses doigts dans mon vagin. La douleur m'a saisie, j'ai eu l'impression de m'être empalée sur sa main, je me suis sentie foudroyée par la violence et la soudaineté des sensations.

Ma mère ne m'avait parlé de rien concernant le corps et la sexualité et je ne savais même pas que j'avais un vagin. C'est de cette manière, que je l'ai découvert, dans un viol par la personne que j'aimais le plus et qui semblait m'aimer le plus aussi. Je venais de découvrir une partie de mon corps et au même instant le perdre.

C'était fini pour moi. Mon ventre était envahi de sensations douloureuses et effrayantes par leurs intensités. L'angoisse et la peur ont également fait leur entrée, si je puis dire ainsi. J'ai compris que quelque chose de grave venait d'arriver, et je crois bien qu'à cet instant tout s'est arrêté, quand je dis tout c'est surtout le rire, l'enfance et surtout la confiance en l'autre.

Il a bien fallu continuer à vivre, mais au fond c'était fini. Je me souviens d'avoir eu honte et m'être sentie très mal. Je me souviens du visage de mon frère au sourire gêné mais faisant comme de si rien n'était, et continuant à farfouiller dans mon vagin. Et puis c'est tout. Je ne me souviens pas d'avoir senti qu'il retirait sa main, ni d'avoir quitté la chambre, ni s'il y a eu du sang, ni ce que j'ai fait après, pas même si j'en ai parlé à ma mère.

Amnésique, j'étais devenu amnésique de quelques minutes de ma vie. J'ai tout oublié et après cet instant, c'était un autre monde. Longtemps, j'ai maintenu le couvercle fermé sur cet évènement, tout enfoui au lointain, j'ai anesthésié mon corps et j'ai étouffé le moindre souffle de désir par peur de ressentir la honte et la culpabilité.

Et puis... le silence, l'enfermement dans l'oubli, l'alcool indispensable pour avoir des relations sexuelles, les échecs amoureux, la dépression qui va qui vient et surtout qui revient de façon si imperturbable, les idées noires bien sûr et ma plus fidèle amie je cite l'envie de mourir bien souvent sans avoir su pourquoi, les antidépresseurs pour avoir un peu de répit et garder la tête hors de l'eau, les rechutes, les thérapies.

Et à 53 ans seulement la possibilité d'en parler, de prendre conscience et de tenter d'accepter ce qui est m'arrivée à savoir, un viol incestueux et de constater cruellement l'échec d'une vie de femme mais toujours ma plus fidèle amie du matin au soir.

Lorsque j'avais 17 ans, il m'a fait une scène, à cause de mon premier amant, il m'a demandé pourquoi je l'avais choisi lui, puis il a voulu que je l'embrasse puis que je reste dormir avec lui. J'ai refusé et suis sortie de sa chambre. Ce n'était plus un enfant, il avait 23 ans.

Plus tard, je devais avoir 18 ou 19 ans, il s'est blessé la main, à la menuiserie. Lorsqu'on lui a enlevé son pansement, il est aussitôt venu me trouver dans ma chambre et sans un mot mais avec insistance, il m'a montrée sa main amputée de 3 doigts et demi. Je n'ai rien répondu, j'ai encaissé sans comprendre. Sans en être pleinement consciente, la honte et la culpabilité venait encore une fois de m'envahir.

C'est seulement des années après, sur le divan avec ma première thérapeute, que j'ai osé parlé de la relation entre son accident et ce qui s'était passé dans cette chambre des garçons et ce, en prenant grand soin de minimiser ce que moi j'avais vécu. Je me souviens que ce qui me préoccupais à l'époque c'était la culpabilité, « ah il s'était auto-puni à cause de moi » mais j'étais incapable de prendre en compte la douleur de ce que j'avais vécu.

Mais ce n'est pas tout à fait tout...

C'était le début de l'été, peut être bien le début des vacances, j'avais autour de 13 ou 14 ans, j'essuyais la table de la salle à manger après le repas. C'était chacune notre tour avec ma sœur ainée.

Depuis quelques temps, mon père avait pour habitude de nous « chahuter » ma sœur et moi à tour de rôle. A savoir, il nous attrapait soudainement quand on passait près de lui avec notre éponge et faisant le gros méchant, il nous projetait sur ses genoux à plat ventre pour nous donner des fessées, enfin des fausses fessées très énergiques. Il faisait également des chatouilles sous les bras et le long des côtes, tout cela pour nous faire rire et nous amuser, enfin ce que je crois...

La première fois qu'il m'a attrapé, cela m'a plu ; il avait attrapé ma sœur la veille et maintenant c'était mon tour, je n'étais plus la spectatrice d'une aventure mais je la vivais à mon tour.

Chouette, il s'occupait de moi aussi et j'étais bien contente, je riais. Mais la deuxième fois qu'il m'a attrapée, il y a eu un geste déplacé : il ne s'est pas contenté de donner des fausses fessées (qui soit dit entre nous n'est qu'une façon déguisée de peloter les fesses de sa fille -cela m'apparait aujourd'hui de façon tellement évidente) mais quand il m'a fait des chatouilles sous les bras puis le long des côtes, j'ai senti sa main qui franchement caressait mes seins naissants, il a passé sa main à plat plusieurs fois sur mes seins et a tâté un peu leurs formes comme s'il voulait vérifier leur croissance. Cela m'a terriblement gênée évidement et j'ai même eu honte de ce qui m'était arrivé. Mais je me souviens que je ne me suis pas permis de penser que mon père faisait quelque chose de mal. Je ne pouvais pas accepter cette idée ; je la rejetais avec autant de force que celle ci m'envahissait.

La troisième fois et je crois, la dernière qu'il a m'a attrapé, ce fut quasiment le même scénario mais il est allé un peu plus loin, après avoir tâter mes seins comme la fois précédente, il m'a soudain pincée à plusieurs reprises et très fortement un mamelon puis l'autre. Je me souviens de la sensation très vive et très douloureuse. J'étais à la fois sidérée et surexcitée car encore une fois cela venait après des chatouilles. Là, j'ai crié plus fort notamment à cause de la douleur, de l'effet de surprise. Alors irrité par mes cris suraigus que je ne maitrisais plus, il m'a jetée hors de ses genoux brutalement en me disant qu'il en avait marre de m'entendre crier si fort et que j'étais vraiment agaçante et stupide.

Je me suis retrouvée tout près de la porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse, hébétée par ce qui venait de se passer. J'avais honte d'avoir senti ses doigts sur les bouts de seins. J'avais également un sentiment de rejet et de déchéance. Je n'avais pas su me contenir et c'était ma faute si cela se terminait si mal et s'il n'était pas content, j'avais démérité. Vraiment je n'étais bonne à rien, alors qu'avec ma sœur, cela se passait bien.

Il me semble que cela s'est passé encore une ou deux fois avec ma sœur, mais plus avec moi.

Aujourd'hui je porte un regard assez sévère sur ce père qui incarnait la loi, le respect, la force mais qui, au fond, était aussi un vicieux qui pelotait sa fille comme si c'était sa chose. Je le vois comme un type qui ne pouvait pas s'empêcher d'aller tâter le corps de sa fille et n'avait ni honte et ni gêne à la rejeter et faire en sorte qu'elle porte le fardeau de cette faute dont il était le seul responsable.

Est-ce à cause de cela qu'il a été aussi violent avec moi ? Je ne le saurais jamais.

Je n'ai plus d'estime pour lui, c'est fini, il m'a fait trop mal. Trop de méchanceté et trop d'injustice à mon égard.

Comment faire avec ces souvenirs que l'on a essayé d'oublier mais dont l'omniprésence est si pénible ?