#MeToo : pourquoi personne ne parle de l'inceste ?

Projet Publié le 09.11.2017


Le mouvement de libération de la parole qui se produit en ce moment dans les media est sans précédent. #MeToo, affaire Weinstein... Dans tous les journaux, à la télévision on parle de viol, d'agression sexuelle, de harcèlement, et même de pédo-criminalité.

 

Pourtant le mot « inceste » reste tabou, aussi bien dans la bouche des ministres que chez les journalistes. Pourtant 4 millions de personnes en France sont des survivantes et des survivants de l'inceste (2 millions « seulement » selon d'autres sources). Alors pourquoi personne n'en parle ?

1)    Parce que c'est trop moche

Violer une femme c'est horrible. Violer un enfant c'est encore pire. Et violer un enfant quand on est son père, son frère, son cousin, sa grand-mère, c'est tellement moche qu'on ne veut pas le regarder en face.

En psychologie ce phénomène s'appelle la détresse empathique : quand la souffrance de l'autre provoque par résonance une souffrance trop grande chez nous, qui nous conduit à des réactions de fuite, de déni et d'évitement.

LA SOLUTION : passer de la détresse empathique à la compassion. Remplacer « C'est trop horrible, tais-toi ! » par « Oui, c'est horrible. Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? »

2)    Parce que c'est tabou

Des millions de gens ont été élevés dans l'idée que le sexe on n'en parle jamais quand on est « bien élevé ». Et les violences sexuelles encore moins. Surtout quand elles sont intrafamiliales c'est à dire non seulement immorales mais impensables.

Considérez l'homicide par contraste. Dans les romans, les polars télévisés, les conversations de bistrot, les actualités, l'homicide est omniprésent. Mais le viol est très peu abordé, et l'inceste pas du tout. C'est tabou. Ça ne devrait même pas exister, alors on n'en parle jamais.

LA SOLUTION : Comprendre que le silence tue.

3)    Parce que c'est extrêmement difficile d'en parler

Les femmes qui ont parlé publiquement de harcèlement ou d'agression sur les réseaux sociaux ont beaucoup de courage. Beaucoup ont souligné qu'il était très difficile d'en parler, de mettre des mots dessus. La honte, la peur d'être prise pour une menteuse ou cible de représailles, la culpabilité de n'avoir pas réagi suffisamment fort sur le moment, tout un cocktail d'émotions négatives vient bloquer la parole.

Pour les survivants de d'inceste d'autres difficultés s'ajoutent à la triade peur-honte-culpabilité : la pression de la famille, chantage affectif, l'emprise parfois, et la proximité avec l'agresseur.

Parler à des amis proches est un premier pas. Parler à toute la famille c'est un bond de géant. Et parler publiquement ça mériterait une médaille aux jeux olympiques tant ça demande de courage.

LA SOLUTION : Une aide professionnelle est souvent indispensable pour parvenir, après des années de progression à tâtons, à dire ces simples mots : « mon père m'a violée quand j'avais 10 ans ». Un environnement protégé et bienveillant comme celui qui est construit dans les groupes de parole des associations peut également aider.

4)    A cause du déni et de l'amnésie traumatique

Le roman (et le téléfilm) « La Consolation » tiré de l'histoire de Flavie Flament ont popularisé la notion mal connue d'amnésie traumatique. Les souvenirs trop difficiles à supporter sont bloqués par le cerveau pour nous protéger. Les survivantes et survivants de traumatismes infantiles sont tout simplement incapables de se souvenir de ce qui s'est passé. Bien que caché, le traumatisme est toujours présent et peut se manifester avec des « flashes » qui sont autant de signaux d'alertes.

LA SOLUTION : Le travail avec un accompagnement professionnel. Des techniques comme l'EMDR et l'hypnose ont fait leurs preuves d'après de nombreux témoignages.

5)    Parce que les victimes d'incestes sont ravagées

La moitié des survivantes et survivants de l'inceste ont commis au moins une tentative de suicide. D'autres souffrent ou ont souffert de dépression, anorexie, boulimie, maladies chroniques, MST, sont tombés dans l'addiction (alcool, tabac, drogue) ou la prostitution. Et très souvent subissent d'autres viols et agressions à l'âge adulte car leur fragilité attire les agresseurs comme un aimant. Les recherches comme l'étude ACE, ont mis en évidence ce que le simple bon sens permet de saisir assez bien : les enfants fracassés, ça fait rarement des adultes en bonne santé (lire aussi: les 368 pages du rapport "Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte" de l'association Mémoire traumatique). Trop occupés à survivre ou à tenter de se soigner à court terme, ces adultes vont rarement parler de leur enfance massacrée.

LA SOLUTION: Former les professionnels de santé pour intégrer les traumatismes infantiles dans leur diagnostic et dans leurs pratiques thérapeutiques.

6)    Parce que la famille c'est sacré

Pour beaucoup d'entre nous, la famille est le lieu où l'on trouve l'amour inconditionnel, le réconfort et le soutien en toutes circonstances. Malheureusement ce n'est pas vrai pour toutes les familles : certaines sont perverses, destructrices, toxiques. Il faut donc sortir du « familialisme » qui considère que les enfants sont toujours bien traités par leur famille.

Comme nous avons essayé de le faire comprendre avec le spot télévisé "Joyeux Noël" conçu et diffusé en 2015 avec l'aide de Publicis, certains enfants ne sont malheureusement pas pressés du tout de retrouver leur(s) agresseur(s) aux dîners de famille:

LA SOLUTION : Ouvrir les yeux. Rester vigilant si un enfant dans votre entourage donne des signaux de détresse (souvent discrets et indirects). Ne pas hésiter à faire un signalement judiciaire en cas de doute.

7)    Parce qu'on ignore le risque de récidive

La plupart des agresseurs sont récidivistes. Certaines femmes qui s'étaient tues pendant 30 ans ont porté plainte le jour où c'est leur fille qui a été victime du même agresseur… mais il reste très difficile d'obtenir une condamnation en justice car le déni qui imprègne la société toute entière fait également des ravages chez les professionnels du droit. Et parce que nos lois ne sont pas adaptées et protègent les agresseurs bien mieux que les enfants.

LA SOLUTION : Savoir que le silence et l'impunité judiciaire c'est un passeport pour la récidive. Se battre pour que ça change.

Alors, qu'est-ce qu'on attend pour sortir du déni individuel et collectif ?