Que contient en détail le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants qui a été présenté le 1er mars 2017 ?
Les raisons de se réjouir
L’existence même de ce premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants est une victoire. Face à l'inceste demande depuis son Manifeste de 2004 un plan ambitieux pour prévenir les violences sexuelles sur mineurs, et mieux soigner les survivants de l’inceste. Nous étions l’une des seules associations à défendre une telle idée. Il y a un an encore (en janvier 2016) nos tentatives de dialogue avec les conseillers de la ministre de la Santé ont abouti à une fin de non-recevoir. L’Organisation Mondiale de la Santé ainsi que la Commission Européenne avaient demandé à la France de se doter d’un tel plan de protection des enfants, qui ne s’est fait que trop longtemps attendre alors qu’on en est au 5e plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Bien sûr ces deux causes (le féminisme et la défense des enfants victimes de violence) sont intimement liées, et il ne saurait être question de les opposer : au contraire les outils développés pour mieux entendre la voix des victimes de violence et leur fournir l’aide dont elles ont besoin sont bien souvent les mêmes.
L’apparition du mot « inceste » dans ce plan officiel est une victoire collective pour les survivant(e)s, et un début de sortie du déni. Ce mot reste tabou même au sein des associations de protection de l’enfance, et il apparaît enfin en toutes lettres dans le plan interministériel du 1er mars 2017. « Renforcer les connaissances sur l’inceste » (mesure 3) « Diffuser des outils [d’information] sur les violences sexuelles à destination des parents et des enfants » (mesure 9) « Renforcer la prise en compte des victimes d’inceste et de violences sexuelles durant l’enfance » (mesure 15) « Informer sur la prise en charge à 100% des frais médicaux des victimes de violences sexuelles durant l’enfance » (mesure 18). Après le retour de l’inceste dans le Code pénal en mars 2016, c’est une nouvelle victoire symbolique pour ceux et celles qui veulent sortir du silence.
« Enfants en danger, dans le doute agissez ! » le slogan du numéro de téléphone 119 indique clairement que lorsqu’il y a un soupçon de violence ou de maltraitance, le doute doit profiter à l’enfant et non à l’adulte présumé agresseur. Un enfant battu ou violé envoie des signaux de détresse qui sont parfois ténus ou peu explicites : c’est à l’entourage, aux voisins, aux professeurs, aux amis qu’il revient de les détecter et de faire un signalement. C’est bien un changement de culture que le gouvernement veut favoriser, car trop souvent l’on considère que le bien-être des enfants est l’affaire des parents seulement, et que par principe ceux-ci ne sauraient agresser leurs propres enfants. La réalité est plus complexe malheureusement, et nous approuvons le ministère lorsqu’il veut encourager les citoyens à faire des signalements bien avant d’avoir des preuves irréfutables, c’est à dire avant qu’il soit trop tard. Le signalement n’est pas la délation : un signalement erroné est sans conséquences pour les parents et l’enfant, mais un signalement justifié peut sauver un enfant en danger.
Les raisons de rester vigilant(e)s et mobilisé(e)s
Annoncé en fin de quinquennat, ce plan n’emporte aucun débat parlementaire et n’a pas de budget spécifique. Il est vrai qu’on peut faire déjà bien des choses avec les budgets existants, en matière de formation initiale et continue par exemple. Le coût pour la collectivité des campagnes de formation et d’information est modeste comparé au coût à long terme pour la sécurité sociale de l’inceste et des traumatismes infantiles. Ce coût est caché faute de diagnostic précis mais avec 4 millions de survivants de l’inceste, et connaissant les conséquences à long terme des traumatismes infantiles sur la santé, il se chiffre certainement en dizaines de milliards par an.
La formation des professionnels en contact avec les enfants est essentielle et fait partie du plan gouvernemental: cependant elle ne sera pas obligatoire. Par ailleurs nous espérons que le gouvernement consultera les associations comme la nôtre lors de la mise au point des supports de formation. La réalité de l'inceste reste peu et mal connue malgré le nombre de victimes, et nous craignons qu'elle soit ignorée ou minimisée par les auteur(e)s des supports de formation.
Le volet judiciaire du plan est inexistant. Pourtant, au pénal comme aux affaires familiales, il reste beaucoup à faire avant que la protection des enfants soit une réelle priorité dans toutes les décisions de justice. Pour les victimes d'inceste, quand on est mineur(e), si l'on ne peut compter ni sur sa propre famille ni sur la justice, sur qui peut-on compter ?
Par ailleurs la couverture médiatique de l’annonce du plan indique bien à quel point le déni reste présent dans la culture. Les journalistes ont amplement commenté les mesures destinées à prévenir les décès d’enfants battus, ou à protéger les mineurs de la pornographie. Mais parmi la vingtaine d’articles consultés par l’association, deux seulement mentionnaient le mot « inceste » ou les violences sexuelles. C’est à dire que 9 journalistes sur 10 considèrent que le viol d’enfants n’existe pas, ou qu’il ne fait pas vraiment partie des violences dont le gouvernement devrait se préoccuper. Le chemin à parcourir pour éveiller les consciences et changer la société reste immense !
Face à l'inceste restera particulièrement vigilante sur les points suivants :
- - L’abolition de la prescription pénale, que nous réclamons depuis la création de l’association en 2001. La mission Flament-Calmette doit rendre ses conclusions sur le sujet début avril.
- - L’adoption de ce plan par le prochain gouvernement
- - Les moyens matériels et humaines qui lui seront consacrés
- - L’efficacité des mesures « sur le terrain », qui sera mesurée par nos adhérents et sympathisants. Est-ce que les enfants ou les parents protecteurs qui appellent le 119 reçoivent une écoute attentive et professionnelle, ainsi qu'un aide efficace ?
Que contiennent les 23 mesures du plan gouvernemental ?
Le tableau ci-dessous reprend les 20 mesures de notre Manifeste, et les compare avec les mesures récemment annoncées par le gouvernement
Les propositions de Face à l'inceste dans son Manifeste de 2004 |
Ce qu'a fait ou annoncé le gouvernement le 1er mars 2017 |
1. Réintroduction dans notre Code pénal du crime d’inceste |
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2. Imprescriptibilité des crimes et délits sexuels sur enfants |
(fait en avril 2017) Mesure 21. Rendre publique les conclusions de la mission Flament-Calmette |
3. Mise en place d’études de victimation régulières afin de pouvoir piloter la protection de l’enfance |
L'enquête VIRAGE menée l'INED fournira des chiffres sur l'inceste notamment qui seront publiés lors du colloque du 15 mars 2017 |
4. Mise en place d’études scientifiques des troubles et conséquences des maltraitances afin de mieux les prévenir |
Mesure 3. Renforcer les connaissances sur l'inceste |
5. Information des parents durant la grossesse, pendant les séances de préparation à l’accouchement, dans les maternités et pendant les examens médicaux obligatoires de l’enfant. |
Mesure 9. Diffuser des outils sur les violences sexuelles à destination des parents et enfants |
6. Campagnes d’information grand public récurrentes visant les adultes (agresseurs ou potentiels, entourage immédiat des enfants) sur l’interdit de l’inceste, les sanctions encourues non seulement pour le crime commis mais aussi pour l’absence de signalement du crime. |
Mesure 8. Sensibiliser l'opinion publique par des campagnes d'information sur les violences faits aux enfants (Reste à voir le contenu effectif des messages qui seront diffusés) |
7. Information des enfants dès la maternelle jusqu’au lycée sur leurs droits et sur les limites à ne pas dépasser concernant leur intimité, sur l’existence du 119 et son rôle, ceci par des interventions en classe mais aussi par écrit (dès le cours préparatoire) dans chaque manuel scolaire en page de garde avec un langage adapté à l’âge de l’enfant. |
Mesure 9. Diffuser des outils sur les violences sexuelles à destination des parents et enfants |
8. Avant recrutement, enquête de moralité et examen du casier judiciaire des intervenants auprès des enfants : travailleurs sociaux, assistantes maternelles et leur conjoint, enseignants, animateurs de centres de loisirs ou colonies… |
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9. Formation obligatoire des personnels en contact avec les mineurs sur les violences sexuelles, leurs conséquences, leurs repérages et sur les procédures de signalement. |
(Formation non obligatoire) Mesure 12. Mobiliser les professionnels, en contact avec les enfants, en les formant à la détection et aux conduites à tenir face aux violences faites aux enfants |
10. Mise en place d’un suivi psychologique systématique par des victimologues pour les enfants fugueurs, délinquants, pour les mineures de moins de 16 ans subissant une IVG. Stockage de l’ADN de l’embryon pouvant prouver l’inceste en cas de procédure judiciaire ultérieure. |
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11. Détection des enfants maltraités dès la crèche avec des outils ludiques (dessins, jeux de rôles, fiches thématiques…) |
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12. Information dans les écoles sur les maltraitances sexuelles et sur les moyens de les signaler lorsqu’un enfant en parle à un autre enfant. On constate que le premier confident de l’enfant agressé est dans 50% des cas un ami ou sa mère. |
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13. Considérer l’enfant qui ose parler comme un enfant « présumé victime » même s’il a commis des actes de délinquance qui sont parfois des appels au secours ou les conséquences de sévices subis (vol, toxicomanie, fugues, violences physiques…). |
Mesure 17. Développer les formations au recueil de la parole de l'enfant |
14. Protéger immédiatement l’enfant de l’agresseur présumé. Si les deux parents sont impliqués, séparer l’enfant de ceux-ci en le plaçant dans un environnement sécurisé spécifique à cette problématique (foyer spécialisé) avec du personnel hautement spécialisé et formé aux rouages de l’inceste. |
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15. Prise en charge pluridisciplinaire de l’enfant présumé victime avec un accompagnement psychologique systématique gratuit par des victimologues sans limitation de durée. |
Mesure 15. Renforcer la prise en compte des victimes d'inceste et de violences sexuelles durant l'enfance dans le réseau de téléphonie sanitaire et sociale (le 119 et le 3919) Mesure 16. Favoriser le développement des unités d'Assistance à l'audition des enfants victimes de violences |
16. Application systématique et obligatoire de la procédure Mélanie en cas de procédure judiciaire. |
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17. Réduction de la durée d’instruction et de jugement créant une attente parfois de plusieurs années, traumatisante pour l’enfant |
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18. Possibilité pour l’enfant de témoigner lors du procès de son agresseur par télétransmission ou d’être représenté par des experts qui auront recueilli sa parole et la transmettront à l’audience à la place de l’enfant (procédure en place aux Pays Bas). |
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19. Formation d’Etat initiale et continue obligatoire de toutes les personnes en contact avec l’enfant présumé victime : travailleurs sociaux, magistrats, policiers, gendarmes, médecins, psychiatres et psychologues, experts auprès des tribunaux, avocats… |
Axe 3 (mesures 11, 12, 13): Former pour mieux repérer (Formations non obligatoires) |
20. Création de groupes régionaux de gendarmes et policiers spécialisés dans la pédocriminalité. |
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Mesure 7. Prévenir l'exposition des mineurs à la pornographie |
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Propostion de Face à l'inceste dans le cadre du plan interministériel du 1er mars 2017 suite à la campagne Caducée de Face à l'inceste |
Mesure 18. Informer sur la prise en charge à 100% des frais médicaux des victimes de violences sexuelles dans l'enfance. |
Mesure 19. Repenser une prise en charge des soins spécifiques aux psycho-traumatismes liés aux violences intrafamiliales pendant l'enfance. |
À propos de la pornographie
Les films pornographiques sont violents et sexistes, ils montrent très souvent des femmes soumises à des pratiques humiliantes et dégradantes, quand elles ne sont pas dangereuses ou douloureuses. Il participent à la culture du viol, et c'est bien pour cela qu'ils sont officiellement interdits aux mineurs. Face à l'inceste approuve donc la volonté affichée par le gouvernement de limiter l'accès des mineurs à la pornographie. Il ne s'agit pas de faire de la sexualité elle-même un sujet tabou dont il est interdit de parler. Il s'agit, dans l'éducation de nos enfants et adolescents, de promouvoir une sexualité respectueuse de l'intimité de chacun, de l'égalité hommes-femmes et de du droit à disposer de son propre corps. Laissons de côté le débat sur la faisabilité technique d'une généralisation du "contrôle parental" sur les ordinateurs et tablettes, et sur l'efficacité de mesures purement techniques face à des adolescents curieux, ingénieux et parfois bien plus compétents en informatique que leurs parents. Que le contrôle parental soit imparfait et incomplet n'est pas une raison suffisante pour baisser les bras et ne rien faire du tout. Mais ce que le gouvernement semble ignorer surtout, c'est qu'il existe des adultes pervers qui exposent volontairement des enfants (et souvent leurs propres enfants) à la pornographie, et que cette exposition à la pornographie n'est souvent que le prélude aux agressions sexuelles ou aux viols. Ainsi, protéger nos enfants contre la pornographie, ce n'est pas simplement activer le "contrôle parental" sur les ordinateurs et smartphones, en espérant qu'il soit efficace. Le débat ne se résume pas aux moyens techniques pour filtrer les photos et vidéos sur Internet, loin s'en faut. Protéger nos enfants ne se résume pas à mettre en place des logiciels pour filtrer ce qu'ils voient sur leur smartphone ou tablette: c'est le projet éducatif de toute une société pour promouvoir une éducation bienveillante et lutter sans faiblesse contre les abus et les crimes, y compris quand ils sont commis par des membres de la famille ou par des proches.
Ressources supplémentaires
Nous vous invitons à consulter également le discours de Laurence Rossignol le 1er mars 2017 ainsi que les 70 pages de la présentation détaillée du plan interministériel (en PDF, dans la section "Téléchargements" de notre site).
Vous pouvez également participer à notre campagne: Monsieur le Candidat, je vous fais une lettre pour interpeller notre future Président(e) de la République sur la question de l'inceste et la protection de nos enfants.