Le 15 février 2018 nous étions conviés avec d'autres associations à un groupe de travail de l'Assemblée Nationale, à l'initiative de la députée Nathalie Avy-Elimas, au sujet des violences sexuelles sur mineurs.
Le champ couvert par ce groupe de travail était très large, avec trois axes:
- Prévention / Dépistage (Informer, Sensibiliser, Alerter, Inviter à parler)
- Cadre pénal (Viol, notion d'emprise, Consentement, Prescription, Amnésie traumatique)
- Prise en charge (Former les professionnels, Développer l'offre de soins)
Face à l'Inceste
Comment couvrir un sujet aussi vaste dans les 15 minutes de temps de parole qui nous étaient imparties ? Vous pouvez consulter les diapositives de notre présentation en PDF dans la rubrique "Téléchargements" de notre site. Nous avons bien sûr évoqué nos 29 propositions pour un plan Inceste mais sans pouvoir les détailler.
Les 5 députés présents nous ont écouté avec attention. Nous avons essayé d'insister sur quelques messages simples comme le fait que la plus grandes parties des violences sexuelles sont commises sur des personnes de moins de 18 ans et dans le cercle familial. Et que par conséquent il est impossible de parler sérieusement des violences sexuelles sans traiter la question de l'inceste.
Mémoire Traumatique
La docteure Muriel Salmona a présenté son Manifeste STOP à l'impunité des crimes sexuels, que nous avons soutenu et relayé sur les réseaux sociaux). Elle nous a également livré des informations sur le procès de l'affaire de Pontoise qu'elle a suivie. Après 3h30 de débats très violents durant lesquels la moralité de l'enfant victime a été mise en cause de façon scandaleuse, le tribunal correctionnel s'est finalement déclaré incompétent. Cela ouvre la voie à une enquête plus approfondie, avec un juge d'instruction, et à un procès en assises, mais la petite Sarah est encore bien loin de voir son agresseur condamné (nous écrivons "son agresseur" sans ajouter "présumé" car il a avoué les faits).
Elle dit la nécessité d'une prise en charge pluridisciplinaire des victimes, couverte à 100% par la sécurité sociale. Ainsi que la nécessité de sécuriser le signalement et le dépôt de plainte. Muriel Salmona rappelle également notre demande commune d'un double seuil légal de consentement à 18 ans pour l'inceste et 15 ans dans les autres cas (voir notre pétition).
La Dre Salmona évoque enfin l'existence aux USA et au Canada, il existe des commissions pluri-disciplinaires chargées de revoir les affaires classées sans suite et d'émettre des recommandations pour corriger les failles et dysfonctionnements du système judiciaire.
Enfance et Partage
Enfance et Partage est une association d'aide aux victimes. Marie-Pierre Colombel donne plusieurs cas concrets pour expliques les difficultés qu'on rencontre. Notamment avec les victimes d'incestes qui retournent la violence contre elles-mêmes (tentatives de suicide, scarifications, etc) pour protéger la famille. Qui subissent les pressions de la famille et parfois même la jalousie de leur propre mère ou de leur soeur !
Les Unités d'Accueil Médico-Judiciaires (UAMJ ou UMJ) permettent un recueil sécurité de la parole de l'enfant par une équipe pluri-disciplinaire (policiers, psychologues, pédopsychiatres). Cependant elles sont en nombre encore insuffisant et n'existent que grâce aux dons et à l'engagement des associations.
Enfance et Partage préconise une interdiction absolue pour un majeur d'avoir une relation avec un mineur de moins de 14 ans. Le droit pénal doit poser des interdits. La position des sénateurs (exprimée récemment par la rapporteuse Marie Mercier) qui consisterait à prendre en compte le "discernement" de l'enfant au cas par cas, n'est pas réaliste. En effet, comment apprécier le discernement de l'enfant si la plaint est déposée 15 ans après les faits ? Quel juge, en voyant une personne adulte de 30 ans, peut apprécier le discernement qu'elle avait à 12 ans ?
(Note de Face à l'inceste : à un an près, cette position est la nôtre mais elle oublie l'interdiction de l'inceste pour tous les mineurs de 0 à 18 ans)
Enfance et Partage propose également d'allonger la prescription pour le délit de non-dénonciation de crime commis sur mineur (article 434-1 du code pénal).
REPPEA
Le Réseau des Professionnels pour la Protection des Enfants et Adolescents (Eugénie Izard, Hélène Romano) parle d'éducation à la sexualité. Nous avons déjà couvert ce sujet important dans l'article Oui à la prévention, non à la perversion !
Elles évoquent également le droit de visite qui est parfois accordé aux parents incestueux le week-end même lorsque l'enfant a été placé en foyer suite à des violences sexuelles ! Une certaine idéologie voudrait que le lien avec les parents soit prioritaire par rapport à la sécurité physique et psychologique de l'enfant.
Ce sont aux adultes d'être attentifs aux signaux de détresse, ce n'est pas à l'enfant de parler. L'inceste est un génocide identitaire, et les survivants de l'inceste devraient pouvoir changer de nom (note de Face à l'inceste : cette possibilité soit déjà inscrite dans la loi. L'article 61 du Code civil stipule que "Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom." Certains de nos bénévoles ont entrepris cette démarche avec succès).
Il n'y aurait qu'un tout petit nombre d'accusations délibérément fausses de violences sexuelles (entre 0,1% et 3% selon les études).
Le REPPEA demande:
- - Un programme de formation initiale et continue
- - La protection des parents et des professionnels qui font un signalement
- - La prise en charge des soins dans le temps
- - Des tribunaux spécialisés dans les violences sur mineurs
- - Le respect de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant qui permet à un thérapeute de suivre un enfant sans l'accord de ses parents, lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige
- - La modification des programmes d'éducation à la sexualité pour éviter l'intrusion traumatique causée par l'exposition précoce à des contenus "pour adultes" et se concentrer sur la prévention.
Moi aussi amnésie
Mie Kohijama nous rappelle que l'amnésie traumatique touche 40% des survivants d'inceste et de pédocriminalité. C'est un phénomène bien connu, étudié par les scientifiques et décrit dans le DSM-V comme faisant partie du syndrome de stress post-traumatique. Des expertises permettent d'évaluer la fiabilité des souvenirs et donc des témoignages dans le cadre d'une procédure judiciaire. Les souvenirs traumatiques peuvent être extrêmement précis et riches en détails matériels vérifiables.
En Israël, 3 cas d'amnésie traumatique ont été récemment étudiés par la Cour suprême, ce qui a débouché sur 2 condamnations. Il est donc non seulement justifié moralement et scientifiquement, mais aussi possible en pratique, d'autoriser des procès longtemps après les faits pour les personnes victimes d'amnésie traumatique.
Maître Jean Sannier, avocat
L'avocat Jean Sannier examine les origines de la prescription pénale, une idée qui remonte à 1808. Celle-ci repose sur deux hypothèses:
- 1) Le temps fait son oeuvre (disparition des preuves, oubli, réparation et guérison)
- 2) Le sentiment de culpabilité et la peur du châtiment constitueraient une sorte de peine pour le coupable qui n'est pas condamné. La prescription viendrait mettre un terme à cette peine.
Ces deux prémisses sont très rarement questionnées de nos jours où les professionnels du droit apprennent dès la 1ere année que la prescription est un pilier de notre droit (à tel point que certains croient qu'il serait inconstitutionnel de la supprimer, ce qui est faux, note de Face à l'inceste ).
Or ces deux prémisses peuvent être remises en cause:
- 1) Les progrès de la science et de la police scientifique ont beaucoup changé la recherche de la preuve. Et les traces numériques laissées de nos jours pourraient servir d'éléments de preuve (ou à l'inverse, d'alibi) dans de nombreuses années.
- 2) Pour avoir fréquenté un certain nombre de personnes mises en examen, Me Sannier a certains doutes à titre personnel le sentiment de culpabilité qu'on leur prête.
Depuis février 2017, la notion d'obstacle insurmontable permet d'allonger les délais de prescription, lorsqu'une cause extérieure, imprévisible et incontrôlable a empêché la victime de porter plainte.
Pour introduire l'amnésie traumatique en tant qu'obstacle insurmontable, il faudrait la reconnaître comme une cause "extérieure", ce qui paraît compromis, à moins de changer la loi.
Catherine Bonnet, pédopsychiatre
Il y a 20 bonnes raisons pour introduire une obligation de signaler les suspicions de violences sexuelles et physiques dans le code pénal pour tous les médecins (actuellement seuls ceux qui ont le statut de fonctionnaires ont une telle obligation selon l'article 40 de procédure pénale). Sans que ces médecins soient exposés à des poursuites disciplinaires.
Les enfants handicapés sont 2,88 fois plus souvent victimes de violences sexuelles.
L'âge moyen de l'entrée en prostitution est de 13 ou 14 ans: il y a donc un lien direct entre la protection des enfants et la lutte contre l'exploitation et le proxénétisme.
L'enfant qui parle à un médecin veut avant tout que ça s'arrête.
Il y a très peu de signalement intentionnellement faux (plusieurs études américaines l'ont confirmé: moins de 1%).
L'exemple des USA et du Canada montre que le nombre de signalements pourrait être multiplié par 3 si ça devient une obligation légale.
Il faudrait revoir les définition du viol et de l'inceste.
Je suis favorable pour l'abolition de la prescription.
La CLEF (Coordination pour le Lobby Européen des Femmes)
Maître Marie-Gabrielle Campana-Doublet, avocate, secrétaire de la CLEF, rappelle la Convention d'Istambul qui définit le viol comme l'absence de consentement. La CLEF défend un âge minimum de 15 ans pour donner son consentement, et demande une redéfiniiton des infractions liées aux violences sexuelles.
Marion Fraisse, la main tendue
Norah Fraisse, en prenant l'exemple du harcèlement scolaire, dit aux députés: c'est très bien de voter une loi, mais s'il n'y a pas de moyens pour l'appliquer sur le terrain, cela restera lettre morte. Il faut donc un plan doté de moyens humains et budgétaires suffisants pour que ça entre réellement en vigueur.
Elle pose la question de l'impact de la pornographie sur les mineurs, et demande à ce que l'Éducation Nationale soit partie prenante de la réflexion sur la prévention des violences sur mineurs.
Mathilde Brasilier
L'auteure de "Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait l'inceste" décrit les signaux d'alerte qui pourraient servir à détecter l'enfant victimes de violences, comme les troubles du sommeil, l'énurésie, l'anorexie.
L'amnésie traumatique (dont elle a été victime pendant 30 ans) est une réaction d'autodéfense qui nous protège du suicide, en nous évitant les souvenirs qu'on ne peut pas encore affronter.
L'inceste est une trahison et demeure encore aujourd'hui tabou. Certaines librairies ont refusé son livre car le mot Inceste figurait dans le titre !
La parole s'est libérée pour les femmes, il faudrait qu'elle se libère aussi pour les enfants.
Séverine Mayer
L'auteure du livre "La Parole" et de la pétition Stop Prescription que nous avions soutenu dès le début et qui a rassemblé 183.000 signatures était absente pour raisons de santé et représentée par un ami. Celui-ci nous rappelle que la prescription pour les crimes sexuels contre les mineurs a été abolie au Canada, dans 26 des 50 Etats aux USA (dont la Californie), en Suisse et au Royaume-Uni.
Il faut que les principes du droit s'adaptent au réel, et non l'inverse. Défendre une concept purement théorique de prescription face aux victimes qui ont eu besoin de nombreuses années pour sortir du silence (qu'il y ait eu amnésie traumatique ou non), c'est un déni de justice.
L'inceste ou le viol d'un enfant ne sont pas des crimes "sexuels" mais une pure agression. La sexualité est tout entière du côté de l'agresseur. L'enfant victime, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, ne vit que la torture, la peur, le trouble.
Séverine Mayer est une survivante de l'inceste qui a été violée depuis l'âge de 4 ans et demi jusqu'à 18 ans et 2 mois. Sa mère était battue et l'agresseur allait jusqu'à faire du chantage sur la vie de sa mère pour contraindre l'enfant au silence.
Elle avait pensé appelé son livre "Et si c'était un enfant" en référence à Primo Levi (survivant des camps de la mort nazis et auteur de "Et si c'était un homme"). En 2001, le Congrès Mondial de l'UNICEF à Yokohama consacré les crimes sexuels sur mineurs à Osaka a qualifié l'inceste et la pédocriminalité de crimes contre l'humanité.
Conclusion de la députée Avy-Elimas
Nathalie Avy-Elimas remercie les participants et dresse rapidement une liste des points sur lesquels elle va réfléchir:
- - redéfinition de l'inceste dans le Code pénal
- - réflexion sur l'histoire et l'origine de la prescription pénale
- - réflexion sur l'amnésie traumatique
- - sécurisation des procédures pour les parents et médecins qui portent plainte ou font des signalements
- - formation des professionnels
- - inclusion de l'Education Nationale dans la concertation
- - différence entre prévention contre les crimes sexuels et éducation au plaisir sexuel
- - tribunaux spécialisés
- - lien avec la violence faite aux femmes
- - libération de la parole
Un projet de loi devrait être proposé en Conseil des ministres le 21 mars 2018. Ce groupe de travail participe à la réflexion en amont sur le sujet. Plus tard, la députée Avy-Elimas pourrrait également pourrait également porter des amendements en séance afin d'améliorer la protection des enfants.