Face à l'inceste a été auditionnée le Mercredi 6 juin 2018 par la rapporteur Mme la Sénatrice Marie Mercier (Les Républicains, Saône et Loire) dans le cadre de l’examen par la Commission des Lois du Sénat du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite Loi Belloubet/Schiappa.
Lors de notre audition, notre objectif était simple et clair : continuer de nous donner la parole, nous faire entendre auprès de nos représentants, et faire que la Loi Belloubet/Schiappa fasse état de nos demandes.
Ainsi, nous avons demandé :
1 . La mise en oeuvre d’un plan “inceste”, fléau de santé publique devant être traité comme tel, rappelant qu’ 1 enfant sur 5 est victime de violences sexuelles, dont 75% dans le cadre de leur famille. Nous avons notamment réclamé des chiffres officiels sur l’inceste.
2 . La suppression de l’article 2 de la loi Belloubet/Schiappa qui vise à créer un nouveau délit d’ “atteinte sexuelle avec pénétration”, ersatz de viol, qui renforcera la possibilité de correctionnaliser des viols sur mineurs, en particulier en cas d’inceste.
3 . De maintenir à 15 ans l’âge seuil de consentement d’un mineur à un acte sexuel avec un adulte (hors inceste) et qu’en deçà de 15 ans, le non consentement du mineur soit retenu.
4 . L’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur, en particulier en cas d’inceste. Nous avons toutefois salué l’allongement du délai de la prescription de 20 à 30 ans.
5 . L’insertion d’un crime spécifique d’inceste dans le code pénal qui pose clairement l’ interdit de l’inceste, à l’instar du Canada et de la Suisse. Ainsi, nous avons indiqué souhaiter voir la disposition suivante ajoutée:
Code Pénal, article 222-31-1 (notre proposition) « Constitue un inceste toute acte de nature sexuelle commis sur un mineur par : 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, un cousin germain, une cousine germaine; 3° Le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2°, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait. L’inceste est puni de vingt ans de réclusion criminelle » |
Nous avons motivé notre volonté d’introduire un crime spécifique d’inceste dans le code pénal en rappelant les spécificités de cette forme de violence sexuelle :
- aucun mineur de 0 à 18 ans ne peut consentir, de manière libre et éclairée à un acte de nature sexuelle avec l’un des membres de sa famille (inceste).
- l’inceste est un crime de lien. L’enfant qui subit un inceste perd aussi sa famille.
- les psycho-traumatismes résultant de l’inceste sont extrêmement importants.
Mme Mercier nous a entendu et a pris de nombreuses notes sur les chiffres, les conséquences de l’inceste, nos revendications et leurs motivations.
Elle nous a également fait part de son constat étonné de trouver des interlocuteurs médusés et sidérés lorsqu’elle évoquait la prévalence de l’inceste.
Mme Mercier nous a dit qu'elle souhaitait aller plus loin dans le combat contre l’inceste et souhaite explorer toutes les pistes pour ce faire, en particulier concernant la prévention et la sensibilisation des enfants.
Positions divergentes
L'association la Voix de l'Enfant été également représentée par sa directrice, Mme Brousse, à cette réunion. Elle ne nous a pas soutenu dans notre demande d'un crime spécifique d'inceste, disant que ça serait "discriminatoire" par rapport aux autres victimes de pédocriminalité. Visiblement, il reste du travail à faire même au sein des associations de défense de l'enfant pour que la particularité de ce crime de lien, qui détruit une famille en plus de détruire un enfant, soit reconnue.
La Voix de l'Enfant approuve l'allongement de la prescription à 30 ans mais voudrait réserver l'imprescriptibilité aux crimes contre l'humanité. A Face à l'inceste nous en avons assez de ce fétichisme de la prescription pénale, et de cette vision théorique du droit qui classe les crimes du moins grave au plus grave, avec des délais de prescription de plus en plus longs.
L'imprescriptibilité n'est pas une mesure théorique ou symbolique. C'est une mesure concrète pour:
1. La prévention (les pédocriminels ont tendance à multiplier les victimes durant toute leur vie: il faut qu'on puisse les poursuivre toute leur vie
2. L'égalité de traitement entre toutes les victimes d'un même agresseur
3. La réalité du temps qu'il faut à une personne survivante pour sortir du silence (16 ans en moyenne) et se reconstruire. Qu'il y ait ou non amnésie traumatique, aucune limite de temps ne devrait empêcher une plainte d'être reçue.
Le Royaume-Uni, la Californie et beaucoup d'autres États ont supprimé la prescription. Il est grand temps de le faire en France !
Et maintenant ?
Concrètement, les sénateurs ont le pouvoir de ré-écrire l'article 2 de la loi Belloubet/Schiappa pour que violer un enfant soit toujours considéré comme un crime, et pour qu'on ne pose plus jamais la question du "consentement" de l'enfant.
Avec plus de 420.000 signatures, les Français ont été nombreux à se mobiliser pour dire STOP. Pour dire que le temps de la quasi-impunité pour l'inceste et la pédocriminalité doit prendre fin.
L'affaire de Pontoise, l'affaire de Meaux ne sont pas des cas isolé. Notre enquête sur la Correctionnalisation du Viol, dont nous avons remis en main propres un exemplaire à Mme Mercier, montre au contraire que c'est une réalité banale, quotidienne dans la plupart des tribunaux. Les violences sexuelles contres les enfants sont niées ou minimisées, les peines prononcées sont ridicules par rapport à la gravité de ces crimes et de leurs conséquences.
Mme Mercier, il est temps que ça change ! En tant que rapporteure de ce projet de loi au sein de la Commission des Lois, vous avez le pouvoir d'agir ! Nous comptons sur vous !
Nous sommes convaincus que les arguments avancés par certains au sujet d'un éventuel "risque constitutionnel" si on instaurait un seuil d'âge pour définir et punir la pédocriminalité ne sont que du bluff. De nombreux pays ont instauré une telle limite en Europe, et la Convention de Lanzarote, ratifiée en 2010 par la France, demande explicitement d'instaurer une limite d'âge en-dessous de laquelle il n'est pas permis à un adulte de se livrer à une activité sexuelle quelle qu'elle soit avec un enfant. Ne vous laissez pas impressionner par ce bluff pseudo-juridique, Mme Mercier ! La seule chose qui nous manque en réalité pour avancer, c'est la volonté politique. Rappelez-vous que les Français ont des attentes très fortes sur ce dossier, et que leur tolérance pour ces dysfonctionnement judiciaires répétés n'existe plus.
Nous avons été écoutés, nous espérons maintenant être entendus !
La mobilisation doit continuer !
Fannie, Sylvie et Patrick pour Face à l'inceste