En réponse à la demande de plusieurs associations dont l'AIVI, et en réaction à l'affaire Flavie Flament, la ministre Laurence Rossignol avait mis en place une "mission de consensus", dirigée par la victime Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmettes, sur la question de la prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs.
Un peu d'historique
C'est l'affaire Flavie Flament, très médiatisée, qui a poussé le gouvernement à rouvrir le dossier de la prescription. Mais le combat pour abolir le délai de prescription est une des raisons d'être de Face à l'inceste depuis sa création.
L'originalité de cette mission de consensus mise en place par Laurence Rossignol est d'associer d'anciennes victimes de viol et des professionnels du droit afin d'éclairer le législateur sur cette question.
Cette mission s'inscrit dans le cadre du tout premier plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux enfants qui fut annoncé le 1er mars dernier.
La contribution de Face à l'inceste
Notre association a signé une contribution écrite qu'on peut télécharger sur notre site, en collaboration avec plusieurs autres associations:
- - Association Nationale Pour la Reconnaissance des Victimes
- - Alliance des Femmes pour la Démocratie
- - Association Mille et Une Victimes d’Inceste
- - La Parole Libérée
- - L’Enfant bleu, enfance maltraitée
- - L'Enfant d'abord
- - SOS Les Mamans
- - SOS Sexisme
Voici un extrait de notre contribution:
Les violences sexuelles sur mineurs constituent des infractions très graves, qualifiées de « crime contre l’humanité » lors du congrès mondial de 2001 sur l’exploitation sexuelle des enfants (122 pays participants). Elles touchent plusieurs millions de français, pouvant provoquer la mort ou réduire considérablement la durée de vie. C’est pourquoi l’abolition de la prescription est nécessaire à la reconnaissance de la gravité de ce fléau et à la création d’une politique de prévention aujourd’hui inexistante.
En complément, nous avons également adressé à la mission Flament-Calmettes un résumé du résultat des études ACE (qui montrent que les traumatismes subis pendant l'enfance réduisent l'espérance de vie et causent de graves problèmes de santé à l'âge adulte) ainsi que nos propositions en matière de prévention.
Les conclusions de la mission de consensus
La mission a rendu le 10 avril 2017 ses conclusions. Avant d'en venir au conclusions, nous nous réjouissons de lire dans l'introduction un rappel de la gravité et de l'ampleur de ce problème de santé publique:
En France métropolitaine, 3,7 % des femmes et 0,6 % des hommes déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viol au cours de leur vie. Pour plus de la moitié des femmes et pour les trois quarts des hommes victimes, cette agression a eu lieu alors qu’elle ou il était âgé.e de moins de 18 ans.
Pour les femmes comme pour les hommes, le cercle familial et proche est la première sphère de vie où ont lieu les viols et les tentatives de viol. Ainsi, 1,6 % des femmes ont subi au cours de leur vie au moins une forme de violences sexuelles au sein de la sphère familiale ou proche.
Les agressions de nature sexuelle commises par une personne de l’entourage familial ou proche se caractérisent, encore plus que les autres, par le jeune âge des victimes. Dans plus de 8 cas sur 10, la victime, femme ou homme, avait moins de 15 ans au moment de la première agression. 59 % des femmes victimes et 50 % des hommes victimes l’ont été pour la première fois avant l’âge de 10 ans.
Les violences sexuelles commises au sein de la famille ou par une autre personne proche se caractérisent également par leur caractère répété. 62 % des femmes et 68 % des hommes victimes déclarent avoir subi ces violences à de multiples reprises.
La plupart des victimes de viols ou de tentatives de viol l’ont été avant leur majorité. Parmi les femmes victimes de viols et de tentatives de viol au cours de leur vie, 56 % l’ont été avant leurs 18 ans, dont 40 % avant leurs 15 ans. Les viols et tentatives de viols commises sur des hommes ont très majoritairement eu lieu durant leur minorité : 76 % avant leurs 18 ans, dont 60 % avant leurs 15 ans.
Au regard de l’ampleur du nombre de victimes, le nombre de plaintes est faible notamment en raison de la difficulté à dénoncer les faits (emprise de l’agresseur sur la victime, conflit de loyauté, honte et culpabilité de la victime, peur de ne pas être entendu(e) ou cru(e)…) et des temps, parfois très longs, nécessaires pour prendre conscience des violences sexuelles subies (phénomène de l’amnésie traumatique). Dans ce contexte, la question du délai de prescription de l’action publique des crimes sexuels commis sur les mineur(e)s est fréquemment posée, notamment par les victimes et par les associations qui les soutiennent.
Ce rapport préconise principalement deux choses:
- - L'allongement du délai de prescription de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels commis sur des mineurs
- - La poursuite ou la mise en place des mesures du plan gouvernemental du 1er mars de lutte contre les violences faites au mineurs.
Une avancée concrète pour les victimes
Si l'allongement du délai de prescription à 30 ans est voté par le Parlement, cela offrira aux survivants de l'inceste et de la pédocriminalité la possibilité de porter plainte jusqu'à 48 ans au lieu de 38 ans. C'est bien sûr très positif, et cela pourrait permettre à des milliers de personnes de porter plainte et d'espérer une reconnaissance officielle de leur statut de victime (beaucoup de témoignages, notamment ceux que Face à l'inceste recueille et publie, confirment que cette reconnaissance est importante pour la reconstruction psychologique). Cela pourrait également sauver des enfants en évitant la récidive. Ce délai élargi augmente également l'effet dissuasif d'une possible condamnation pénale, ainsi que la perception de la gravité des crimes sexuels par la société.
Où sont les blocages pour aller plus loin ?
En France les différents délais de prescription établissent une sorte de hiérarchie entre les délits et crimes, les délais les plus longs étant réservés aux crimes jugés les plus graves par le législateur. Seuls les crimes contre l'humanité sont actuellement imprescriptibles. Si on admet cette idée de hiérarchie, les crimes sexuels rejoindraient les crimes terroristes dans la "catégorie" prescrite après 30 ans. C'est une sorte de reconnaissance de leur gravité (pour mémoire, les homicides sont prescrits après 20 ans). A contrario, cette hiérarchie réserve l'imprescriptibilité aux seuls les crimes contre l'humanité.
Mais cette vision théorique, séduisante sur le plan intellectuel, ne tient pas compte de la réalité du terrain. Dans le cas d'un homicide, soit qu'on trouve le corps soit que la personne soit portée disparue, dans la plupart des cas, l'enquête judiciaire démarre très peu de temps après les faits. Dans le cas de crimes sexuels commis sur des mineurs qui n'ont aucun moyen de se défendre et ne savent même pas ce que "porter plainte" veut dire, la combinaison des pressions de l'entourage familial et de l'amnésie traumatique fait que la plainte ne peut être déposée que de longues années après les faits. C'est précisément ce que rappelle le rapport Flament-Calmettes dans son introduction. Et nous le re-disons encore une fois: Il faut tenir compte de la spécificité de l'inceste et de la pédocriminalité, non sur le plan théorique, mais de manière à permettre en pratique aux vicitimes de porter plainte.
Cette hiérarchisation des crimes par le délai de prescription n'existe pas au Royaume-Uni, pour ne citer qu'un seul exemple. La prescription n'existe tout simplement pas au Royaume-Uni ! Et cela a des conséquences concrètes, car les centaines de victimes (pour la plupart masculines) d'un récent scandale pédophilie dans les milieux du footballont pu être entendues par la justice, même 40 ans après !
Par ailleurs dans de nombreux États comme la Californie, la prescription a été tout simplement abolie dans le cas des crimes sexuels sur mineurs, suite à l'affaire Bill Cosby. Est-ce que les enfants français sont moins importants que les enfants californiens ?
Le congrès de Yokohama de 2001 a qualifié les violences sexuelles sur mineurs de "crimes contre l'humanité". 16 ans plus tard, qu'attendent les députés français pour passer des déclarations aux actes ?
Les raisons de rester mobilisé(e)s et vigilant(e)s autant qu'optimistes
Il existe aujourd'hui un large consensus dans la société française pour abolir la prescription.
- - En novembre dernier, l'appel du magazine Psychologies a recueilli 26.000 signatures, dont celles de nombreux professionnels de la santé. L'abolition de la prescription était la première des cinq mesures réclamées au législateur
- - Plus récemment, le 6 mars, c'est le magazine Marie-Claire qui a lancé une campagne d'information et de mobilisation avec le symbole #JamaisTopTard et ont recueilli de nouveau plus de 26.000 signatures
- - Durant la campagne présidentielle, l'abolition de la prescription faisait partie du top 10 des sujets les plus populaires qui ont été présentées par le site Change.org aux candidats
- - 5 des 11 candidats se sont engagés à abolir la prescription s'ils sont élus (en réalité cette décision appartient au Parlement, mais c'est évidemment un signe clair que le monde politique commence à prendre la mesure de l'importance du sujet).
- - L'initiative du Ruban Vert contre la prescription, à laquelle nous participons activement, avec une vingtaine d'associations, contribue à sensibiliser l'ensemble de la société
Tous ces signaux favorables et encourageants doivent avant tous nous pousser à rester solidaires, mobilisés et engagés. La peur et la honte doivent changer de camp, et rester réservées aux agresseurs exclusivement ! Dès qu'ils seront élus, nos nouveaux députés entendront parler de prescription, et nous ne lâcherons rien tant qu'elle ne sera pas entrée dans la Loi et accompagnée des mesures adéquates de prévention et de santé publique pour qu'enfin on puisse dire que la France fait tout ce qui est humainement possible pour protéger nos enfants.